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Entre hasard et nécessité (06.04.10)

Bonsoir,

Pour débuter notre parcours historique, nous avons commencé par distinguer les trois sens que le terme "histoire" peut prendre.

     a) Le premier est celui qui désigne l'ensemble des événements passés : il renvoie à l'ordre des faits, à l'ensemble des choses qui "ont eu lieu".C'est de ce sens qu'il s'agit lorsque le terme est doté d'une majuscule (l'Histoire).

     b) le second renvoie au registre de la narration : une histoire, c'est un récit ordonné, un enchaînement de propositions dotées d'un sens.

     c) le troisième désigne la discipline dont s'occupe l'historien : il renvoie à l'ordre du savoir.

L'idée important est que la troisième acception effectue en réalité la synthèse des deux premières : l'histoire comme discipline consiste à faire de l'Histoire une histoire, d'inscrire les événements passés au sein d'une narration qui fasse apparaître un sens. En ce sens, on pourrait dire que l'historien est celui qui "raconte l'Histoire".

Cette première remarque suffit à faire jaillir la plupart des problématiques classiques par lesquelles s'articulent la plupart des sujets de philo, comme L'Histoire a-t-elle un sens, Est-ce que ce sont les hommes qui font l'Histoire, ou encore Pourquioi écrit-on l'Histoire ? Dans tous les cas, c'est la mise en eouvre d'un travail par lequel un sens se trouve dévoilé (ou projeté) dans une réalité passée qui se trouve questionné.

Commençons donc par situer les transformatons que l'historien fait subir à l'Histoire comme ensemble d'événements. Si l'Histoire est un pur ensemble de faits, elle ne contient pas en elle-même les rapports entre ces faits (une relation n'est pas un fait) ; on pourrait dire de l'Histoire qu'elle est "un gros tas de faits", dont les seules relations sont celles qui proviennent de leur commune immersion dans le temps. En ce sens, les seuls "rapports" entre faits que connaît l'Histoire sont les rapports strictement temporels de simultanéité et de succession. Ces rapports ne disent rien des relations qui peuvent être construites entre ces faits : ce n'est pas pare que deux événements sont simultanés qu'il sont liés (il existe quelque part, au moment où j'écris ces lignes, un train qui part d'une gare, et pourtant ces deux événements n'ont aucun "lien"), et ce n'est pas non plus parce que deux événements se succèdent qu'ils sont unis (un oiseau s'est mis à chanter juste après que j'ai [à l'indicatif] fermé ma porte de garage, et pourtant le second événement n'est en rien la cause du premier).

Par ailleurs, l'Histoire comme ensemble de faits peut faire l'objet d'une connaissance. Si je parviens à obtenir des témoignages concordants et valables concernant l'e:mploi du temps de Marie-Antoinette le 12 février 1985, je pourrai dire que j'ai pris "connaissance du fait" que Marie Antoinette a fait ceci ou cela. De même, un élève peut "savoir" qu'en 1515 eu lieu la bataille de Marignan, tout en ignorant tout (ou presque) des événements auxquels cette date est liée, voire même qui étaient les belligérants.

Fragonard, La bataille de Marignan gagnée par François 1er

Bien. L'idée est que le travail de l'historien doit substituer à la simultaéité et à la succesion un autre type de rapports, pour aboutir à quelque chose qui n'est plus de l'ordre de la simple connaissance.

Prenons un exemple. Si je cherche à restitier l'Histoire en tant qu'ensemble factuel objet d'une connaissance, je peux par exemple envisager l'histoire politique du XIX° en France comme suit : 

1804 : Premier Empire

1815 : Restauration

1830 : Monarchie de Juillet

1848 : Deuxième République

1852 : Second Empire

1870 : Troisième République.

C'est là un ensemble de faits, liés par un pur lien de succession, et que je peux connaître. Mais ceci ne me permet pas du tout de mettre en lumière les liens qui existent entre ces événements : elle ne me permet en particulier de savoir comment on a pu passer de la Deuxième République, la plus démocratique de toutes, à la restauration d'un Empereur. Le lien, purement temporel, de succession masque ici entièrement les rapports logiques qui feraient apparaître une forme de causalité. Par conséquent, je suis encore ici dans le strict registre de la connaissance, mais je n'ai pas fait un pas dans le domaine de la compréhension.

Tel sera précisément le travail de l'historien : la recherche historique ne pose la ersitution des faits que comme un point de départ, et certainement pas un point d'arrivée. Le travail de l'historien est de transformer les liens temporels en liens logiques, pour passer de la connaissance à la compréhension.

Pour le dire autrement, la succesion doit laisser place à l'enchaînement, les faits doivent être organisés de manière à faire apparaître un sens.  

Reprenons notre exemple. "Comment" est-on passé de la deuxième république au secnd Empire, qui plus est en seulement 4 ans ? Un historien pourrait, par exemple, effectuer le récit suivant. La seconde République fut la plus démocratique qui soit : c'est elle qui, pour la première fois, mis effectivement en oeuvre la procédure du suffrage universel (masculin) ; or en 1848, les masses (essentiellement paysannes) n'ont pas encore reçu l'éducation et l'information qui leur aurait permis de produire un jugement informé, autonome et réfléchi dans le domaine politique. par conséquent, un grand nombre d'individus votèrent, lors des élections présidentielles de décembre 1848, pour le seul nom de la liste des candidats qui leur était connu, et dont par ailleurs la sonorité n'était pas sans évoquer une certaine grandeur de la France : Louis Napoléon Bonaparte (qui devient ainsi le premier président de la République de l'histoire de France). 

Ange Tissier, Visconti présente à Napoléon III les plans du nouveau Louvre

Nous pouvons nous arrêter là. L'historien a ici fait jaillir une "clé", un événement qui permet d'ordonner les différents faits dans une séquence logique, et comme telle compréhensible. Si on ne "voyait" pas comment la deuxième République avait pu accoucher du second Empire, on voit en revanche assez bien comment elle a pu déboucher sur le suffrage universel, comment celui-ci a pu déboucher sur l'élection de Louis-Napoléon Bonaparte, et on saisit assez bien comment cette élection a ouvert la voie au rétablissement de l'Empire.la succession des dates a aissé place à l'enchaînement des événements, la connaissance des faits a laissé place à la compréhension du sens d'une séquence historique.

Bien. Laisson spur l'instant de côté la remarque selon laquelle ce n'est évidemment pas la seule façon de concevoir la logique de  cette séquence historique : nous y reviendrons bientôt. En revanche, on peut déjà s'interroger sur les raisons pour lesquelles l'histoire des hommes se prête à ce type de narration : quels sont les liens que l'historien doit faire surgir par son discours ? Et, plus spécifiquement, quels sont les types de causalité qui peuvent être mobilisés par l'historien pour restituer le sens des événements ?

Pour répondre à cette question, nous avons pris appui sur un texte bien connu de Cournot (que voici).

Le texte commence par dissocier le champ de l'histoire et celui des sciences expérimentales ; dans le domaine scientifique, il ne peut y avoir d'histoire dans la mesure où les phénomènes s'enchaînent selon une causalité déterministe, qui fait de chaque événement la conséquence logique, nécessaire de l'événement qui le précède. Que l'on connaisse ou pas la loi qui régit cet enchaînement, on doit admettre que cette loi existe, et qu'elle détermine absolument la succession des faits. Ainsi, si l'on connaît la position initiale, la vitesse et l'accélération d'un solide en mouvement, on peut déterminer a priori (au sens philosophique : sans avoir besoin de recourir à l'expérience) la trajectoire globale dudit solide. C'est ce que tous les TS font à longueur de cours (de physique) : en utilisant la calcul des primitives et des dérivées, on peut détermier l'équation (du type f(x) = ax² + bx + c) de la courbe que décrira le solide : la position exacte du solide à un instant t  pourra ainsi être déterminée a priori pour n'importe quelle valeur de t comprise dans l'intervalle considéré. 

Dans ce cas, il n'y a pas de place pour l'histoire : on ne raconte pas l'histoire d'un projectile dont toute la trajectoire est déjà déterminée par un calcul. On n'imagine pas un commentateur-physicien décrivant la courbe du solide en disant : "Ohlala-lalaa... le solide suit EXACTEMENT  la courbe de la parabole déterminee par nos calcuuuuuls... mais c'est normal car il était logiquement impossible qu'il en fût autrement !" Il n'y a pas d'histoire là où les phénomènes s'enchaînent logiquement conformément à des lois établies par la démarche expérimentale : pas d'histoire là où les événements sont reliés par une relation de cauisalité déterministe.

Bien. Mais il n'y a pas non plus d'histoire là où les événements s'enchaînent de façon purement aléatoire, c'est-à-dire là où les faits qui se succèdent n'ont aucun lien de causalité. C'est le cas lors d'un tirage de la loterie ou du loto ; si l'on fait abstraction du fait que le tirage d'une boule implique nécessairement qu la boule suivante ne sera pas la même boule, il n'y a strictement aucun lien logique entre les différents tirages. Le fait que la boule 8 tombe n'exerce aucune influence sur l'identité de la boule suivante. Nous sommes ici renvoyés à un pur lien temporel : un lien de succession. C'est d'ailleurs ce que manifeste ostensiblement la speakerine en adoptant le ton exactement inverse du commentateur sportif, voix neutre, paisible, objective, dépassionnée : "le 4 ; le 32 ; le 18", etc. 

Il n'y a donc pas d'histoire là où les faits se succèdent sans aucun lien de causalité, là où l'enchaînement se résorbe tout entier dans la pire succession. Si l'on résume, on peut donc dire qu'il n'y a d'histoire, ni là où les événements s'enchaînenent selon une causalité absolue, déterministe, ni à où ils s'enchaînenent sans aucun lien causal, selon une succession aléatoire.

Par élimination, on peut donc dire qu'il ne peut y avoir d'histoire que là où les événements s'enchaînenent conformément à une causalité non déterministe : c'est-à-dire là où les phénomènes exercent une influence sur les phénomènes qui leur succèdent, mais où cette influence n'est pas déterminante. Les phénomènes à venir ne sont donc pas déterminables a priori, il faudra avoir recours à une "donnée de l'expérience" (à l'observation) pour les connaître ; mais en revanche, une lecture rétrospectove fera apparaître les liens qui relient ces phéomènes à ceux qui les ont précédé. 

L'exemple donné par Cournot est celui du jeu. Si deux ordinateurs jouaient aux échecs ensemble, la partie n'appartiendrait pas réellement à l'histoire, puisqu'un informaticien connaissant les algorithmes de programmation pourraient déterminer avec cerrtitude la totalité des coups joués par chacun des "adversaires" (et par conséquent déterminer le gagnant avant même que la partie ne soit commencée).  A l'inverse, il est évident qu'une partie où les coups se succéderaient de façon strictement aléatoire... n'aurait aucun rapport avec une partie de jeu d'échecs ! En revanche, dès que l'on fait intervenir (au moins) un joueur humain, tout change. Il est évident que les coups joués jusqu'à présent (l'état de la partie, la manière de jouer de l'adversaire, etc.) influencent les coups que jouera le joueur ; mais il reste néanmoins impossible de prédire  ce qu'il jouera. Les événements passés influencent ici les événements à venir, mais ils ne les déterminent pas : nous sommes bien dans le registre d'une causalité non déterministe.

Jamais le commentateur avisé ne pourra prédire de façon exacte le déroulement à venir de la partie ; en revanche, il pourra tenter une lecture rétrospective par laquelle il mettra en lumière les stratégies des joueurs, leirs raisonnements, leur suppositions quant au comportement de l'adversaire, etc. Il pourra donc restituer la logique de la partie, restituer les différents coups au sein d'un récit ordonné et cohérent. Il aura alors "raconte" la partie : il aura fait oeuvre de micro-historien. Et pour ceux qui resteraient dubitatifs à l'égard de la thèse selon laquelle une partie d'échecs peut être aussi haletante qu'une partie de football, vous pouvez jeter un oeil à la vidéo ci-dessous, une tentative amusante pour faire revivre le "souffle" d'un match un peu particulier : celui où s'affrontèrent en 2002 deux "dinsaures", Kasparov et Karpov, deux adversaires aussi bien ludiques que politiques (ils adoptèrent deux attitudes différentes à l'égard du régime communiste ; on peut d'ailleurs souligner que Kasparov poursuit aujour'hui son combat d'opposition à la politique de Vladimir Poutine ). A la surprise générale, Kasparov, l'homme qui battit Deep Tought (un ordinateur capable de calculer 720 000 coups à la seconde), et qui fit match nul avec X3DFritz (plusieurs centaines de millions de coups à la seconde).... perdit.

 

A lundi !

 

 

 

 

 

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