Mimesis (23-24.03.10)

Bonjour,

Pour questionner l'oeuvre d'art, nous avons pris appui sur un très vieux débat : celui qui questionne le rapport de l'art à la nature. Ce débat, qui jalonne toute l'histoire de l'art occidental, est indissociable de la notion de mimesis, "imitation" : l'art a-t-il pour fonction d'imiter la nature ?

Avant d'entrer dans le détail du questionnement, il convient de rappeler qu'il ne s'agit pas seulement ici d'interroger les arts "figuratifs", ceux qui cherchent à donner une image  directe de la nature, comme ce serait le cas de la peinture non abstraite. Nous devrons nous souvenir que cette question, comme toutes les questions qui interrogent la nature de l'art et son rapport à la nature, porte sur l'ensemble du domaine artistique.

Ron Issacs, Mimesis

Pour poser le problème, nous pouvons repartir de la formule-boutade de Pascal : "‘Quelle vanité que la peinture, qui attire l'admiration par des objets, dont nous n'admirons pas les originaux" (Pensées, Br. fr. 134). L'avantage de cette citation bien connue, c'est qu'elle permet d'articuler le caractére mimétique de l'art et sa fonction : si l'art a pour fonction de "dupliquer" la nature, alors sa raison d'être devient problématique. Notre tâche sera ici de différencier différentes voies de la mimésis  artistique, et de leur faire correspondre une fonction de la création artistique. Nous verrons que, à travers chaque mode "d'imitation", se révèle une finalité particulière de l'art.... qui ne se résume jamais au fait de "copier" la nature.

Le plus simple est sans doute de repartir de l'oeuvre d'art qui offre une reproduction exacte de la nature. A titre d'illustration, on peut citer l'histoire de Zeuxis et Parrhasius, deux peintres del'Antiuqité qui s'affrontèrent dans un "duel" de peinture. A ce sujet, on ne doit jamais oublier que ces "joutes" artistiques jalonnent toute l'histoire de l'art occidental : La Renaissance organisera des "concours" d'improvisation (dans lesquels Bach, par exemple, s'illustrera), et l'on en retrouve la marque dans les duels que se livrent périodiquement les "batteurs" des groupes de jazz ; on retrouve alors l'écho des vieux duels musicaux qui opposèrent les hommes aux dieux, comme celui qui opposa Apollon à Marsyas (qui perdit parce que, contrairement à Apollon, il ne pouvait jouer de son instrument à l'envers) ; ou comme celui qui oppose, ici, le diable à un petit violoniste appelé Johnny. Cette vidéo est une reprise par le groupe "Primus" d'un titre produit par le Charlie Daniels Band en 1979.

 

The devil bowed his head because he knew that he'd been beat...

De façon plus sensible, cette "joute" artistique, support de la création, se retrouve dans les duels d'improvisation qui ont accompagné la naissance du rap, aux Etats-Unis et en Europe, et que le film 8 Mile met en scène de façon assez réussie. C'est de cette dimensions "agonistique" de la création artistique que notre analyse de l'oeuvre comme copie exacte va nous permettre de rendre compte.

Voici donc le récit de ce duel antre Zeuxis et Parrhasius, tel que nous l'a transmis Pline l'Ancien.

«Zeuxis eut pour contemporains et pour émules Timanthès, Androcyde, Eupompe, Parrhasius. Ce dernier, dit-on, offrit le combat à Zeuxis. Celui-ci apporta des raisins peints avec tant de vérité, que des oiseaux vinrent les becqueter; l'autre apporta un rideau si naturellement représenté, que Zeuxis, tout fier de la sentence des oiseaux, demande qu'on tirât enfin le rideau pour faire voir le tableau. Alors, reconnaissant son illusions, il s'avoua vaincu avec une franchise modeste, attendu que lui n'avait trompé que des oiseaux, mais que Parrhasius avait trompé un artiste, qui était Zeuxis. » (Pline l'Ancien, Histoire Naturelle, vers 50 après J.-C.)

Ce que manifeste ce récit, c'est que ce qui constitue ici le critère de perfection de l'oeuvre d'art, c'est la perfection de la reproduction qu'elle offre de la réalité, cette perfection étant conçue comme exactitude, et plus encore comme capacité à produire l'illusion de la réalité. L'oeuvre idéale est celle qui offre une image que l'homme ne peut plus discerner de ce dont elle est l'image. Ce n'est ici ni la valeur de l'objet représenté qui donne à l'oeuvre d'art sa valeur (des raisins, un rideau...), ni la marque d'un génie propre à l'artiste (qui disparaît ici dans l'exactitude de la copie). On pourrait donc dire qu'ici, le critère de perfection artistique est un critère technique.

Gravure anonyme de 1613 (Amesterdam) représentant le duel de Zeuxis et de Parrhasius

Mais en quoi le fait de produire une copie techniquement parfaite peut-elle nous renseigner sur la fonction de l'oeuvre d'art ? A quoi sert cette duplication ? Pour Hegel (philosophe allemand du XIX° siècle), c'est précisément dans la notion de perfection technique que se trouve la clé : par sa perfection même, c'est le génie technique de l'homme que l'oeuvre manifeste, fait apparaître, rend disponible à la contemplation. Ce que montre l'oeuvre, ce n'est pas l'objet qu'elle représente, mais le talent technique de l'artiste, et à travers lui celui de l'homme en général. L'image artistique donne ainsi le spectacle de la puissance technique de l'artiste ; si bien que l'on pourrait dire qu'en regardant l'oeuvre, on contemple l'Homme, et plus précisément cette caractéristique qui le différencie (nous l'avons vu) de tous les animaux : la maîtrise de l'art.

L'oeuvre d'art est donc la manifestation privilégiée de l'artifice humain, la mise en scène de son essence en tant qu'animal technique. Dans l'oeuvre d'art, cette nature technique de l'homme n'est plus masquée, voilée par l'utilité de l'objet. Dans la mesure même où elle est "gratuite", sans utilité immédiate, l'oeuvre d'art amène en pleine lumière la capacité de l'Homme de transformer la nature, de la re-créer, par le travail de son corps lorsque celui-ci se soumet à son intelligence. Dans l'oeuvre, l'image de l'objet est elle-même une image de l'esprit humain, cet esprit dont elle est "l'oeuvre".

On trouve une illustration amusante de cette idée de Hegel dans son analyse des peintures hollandaises du XVII° siècle. Pour Hegel, il peut paraître au premier abord suprenant qu'un peintre néerlandais comme Avercamp choisissez de peindre et de repeindre un spectacle aussi anodin que des patineurs sur un lac gelé. Mais il ne faut pas oublier que, pour un Néerlandais, toute "domestication" de l'espace maritime est une victoire de l'esprit humain sur la nature. Dans les toiles d'Averkamp, l'objet représenté rejoint ainsi la fonction même de la représentation : manifester la puissance de l'esprit humain à travers le spectacle d'une transformation technique de la nature par l'homme.


Une toile d'Avercamp (XVII° s)

A l'opposé de cette première figuration du réel par l'oeuvre d'art, il en existe une autre, qui trouve l'une des ses formulations les plus explicites chez Diderot. Pour Diderot, l'art ne doit pas se perdre dans la représentation de choses fantasmagoriques, de paysages imaginaires, d'êtres qui n'existent que dans l'imagination de l'artiste. En ce sens, l'art pour Diderot doit bien obéir à un impératif de "fidélité à la nature" : le seul et unique modèle véritable de l'artiste, c'est la nature, le réel.

Pourtant, la reproduction exacte et minutieuse de la nature ne convient pas, pour Diderot, à sa représentation artistique. Ici encore, fidélité ne signifie pas "recopiage", et ce n'est pas la nature telle que nous la voyons tous les jours que l'artiste doit faire apparaître. La nature que l'art doit nous donner à voir n'est ni la nature chimérique d'un autre monde, ni la nature banale et prosaïque de celui dans lequel nous vivons à chaque instant. Ce que l'artiste doit nous "donner à contempler", c'est la nature idéale, sans défaut, une nature dont le spectacle est propre à susciter dans l'esprit et le coeur de chacun un élan noble et passionné. La nature que peint l'artiste n'est pas une nature inventée, c'est une nature sublimée, "idéalisée" au sens où ce modèle que l'artiste a devant son regard  d'artiste est , et ne peut être, qu'un idéal. En ce sens, on pourrait dire que l'artiste peint le spectacle de la nature telle qu'elle se présente à Dieu : il peint la nature idéale dont la nature matérielle n'est qu'une approximation toujours imparfaite, toujours partiellement corrompue.

On peut ainsi dire que, pour Diderot, l'artiste ne doit pas peindre "les choses de la nature", c'est-à-dire le spectacle du monde tel qu'il se donne à voir dans la quotidienneté de notre vie, mais "la nature des choses", au sens aristotélicien, la nature de la nature, c'est-à-dire la nature dans son état d'achèvement, de perfection véritable : la nature idéale. L'imitation de la nature par l'art s'inscrit donc dans l'écart entre l'abandon du réel pour un monde imaginaire (le peintre n'a pas à peindre des "utopies"), et l'abandon au seul réel du quotidien. L'artiste nous donne à voir le mond réel, débarrassé de toutes les imperfections, les impuretés, les compromissions qui le marquent. Pour Diderot, c'est bien la vérité du monde qui se manifeste alors, à travers la pureté d'un monde dont toutes les composantes jouent de façon harmonieuse.

"Le vieux pont" : une toile d'un peintre admiré par Diderot : Hubert Robert

Cette analyse de Diderot trouve une illustration dans toutes les formes d'art qui cherchent à manifester un modèle parfait dont toutes les choses concrètes ne sont que des approximations imparfaites : on peut alors dire que l'artiste doit retrouver la "nature de la chose", ce qu'elle est dans son plein état de pureté et d'accomplissement, derrière la "chose de la nature", celle qui se rencontre dans l'espace de la vie quotidienne. On peut ainsi penser à la statuaire grecque, qui donne à voir des corps de dieux et de héros qui doivent leur similitude à leur commune perfection. Pour un Grec de l'Antiquité, il n'existe qu'un seul et unique corps parfait, le corps de référence, le canon de la beauté. Le sculpteur grec ne doit pas chercher à représenter les corps tels qu'ils nous apparaissent chez nos contemporains, qui sont des corps toujours imparfaits, mais le corps dont les proportions sont absolument conformes au canon, dont les "mensurations" sont absolument harmonieuses.

C'est ce qui explique qu'il est bien difficile de "reconnaître" de quel dieu ou héros il peut s'agir face à une statue grecque de l'Antiquité si l'on ne connaît pas ses attributs (comme le fameux trident pour Poséidon)...

De qui s'agit-il ? Zeus ou Poséidon ? Les deux interprétations existent...

On trouve une idée semblable dans la danse ; ce que la tradition classique de la danse cherche à manifester à travers ses "pas", c'est d'abord l'ensemble des mouvements parfaits. La marche du danseur n'est pas la marche des hommes du quotidien, une marche toujours un peu gauche, ou un peu boîteuse, ou un peu asymétrique, ou un peu raide, etc. La marche, le saut, le geste du danseur sont la marche, le saut et le geste parfaits, dans lesquel coïncident le terrestre et l'aérien, la puissance et la souplesse, l'équilibre et l'harmonie.

On peut d'ailleurs renverser la proposition tout en laissant l'idée inchangée. Si l'art a pour vocation de manifester le modèle dont toutes les choses réelles ne sont que des approximations, le modèle peut aussi bien être un "anti-modèle", c'est-à-dire un modèle... d'imperfection. Les personnages des comédies de Molière sont des "personnages" au sens où ils incarnent la forme pure d'un trait de caractère, qui est le plus souvent un défaut (d'où la portée satirique de la comédie). Il n'y a pas de sens à être "plus" avare que l'Avare, qui lui-même n'est rien d'autre qu'avare. L'Avare est l'incarnation de l'avarice, il est la forme pure représentée. Contrairement aux "personnes" humaines qui sont toujours animées d'une infinité de tendances diverses, et éventuellement contradictoires, les "personnages" de Molière se résument à un seul trait identitaire dont ils constituent l'incarnation. C'est le cas de l'Avare, du Misanthrope, du Malade imaginaire, etc.

Une version de "l'Avare" en théâtre d'objets, par la Cie Tabola Rassa (Barcelone)

Mais il reste encore une possibilité pour la "mimésis", l'imitation de la nature par l'oeuvre d'art : celle qui s'inscrit dans l'écart entre les deux précédentes, c'est-à-dire qui cherche à ma nifester la tension entre le monde tel qu'il est (que nous restitue la copie exacte du réel) et le monde tel qu'il serait en sa perfection (que nous restitue l'art "canonique").

Cette troisième forme de mimésis devrait alors nous montrer le monde tel qu'il est pour mieux suggérer la distance qui le sépare du monde tel qu'il pourrait ou devrait être. C'est le sens qu'il convient de donner au "naturalisme", dont on oublie souvent la dimension engagée. Dans le domaine littéraire, le naturalisme se présente comme une recherche de la description exacte, minutieuse, "scientifique" du réel, par opposition à son idéalisation artistique telle qu'on la trouve dans le romantisme. Observation, exactitude, refus des interprétations hâtives : tels sont les maîtres mots du naturalisme de Zola, qui signe sa fidélité à la natire telle qu'elle se présente dun point de vue des sciences de la nature. 

Pour autant, il ne faut pas oublier que ce naturalisme ne se réduit pas à une démarche strictement journalistique : le but de l'écrivain Zola n'est pas seulement de nous informer de la réalité du monde : il constitue aussi un appel, cet appelle qui résonne (paradoxalement) dans son texte de journaliste le plus connu "J'accuse". En nous décrivant la réalité de la condition ouvrière dans Germinal, Zola ne cherche pas seulement à dire : la parole de l'écrivain est encore une parole qui dénonce, par l'écart qu'elle manifeste entre la réalité rêvée et la réalité concrète. Pour Zola, le but de l'artiste n'est ni de décrire un monde fictif, ni de décrire fictivement le monde : il ne s'agit ni d'imaginer des idéaux, ni d'idéaliser le réel. Mais précisément, par le choix d'une description authentique, ce sont les imperfections de l'homme et du monde qui se manifestent, et ainsi ce qui, dans ce monde, appelle une réforme.

Les textes de Zola ne sont pas réellement "pessimistes" ; ils le seraient si Zola considéraient que le monde tel qu'il est et qu'il le décrit est absolument immuable. Le terme de "nature" ne doit pas ici nous tromper. Si les hommes agissent comme ils le font, ce n'est pas en vertu  (ou à cause) de leur "nature" immuable, mais principalement en raison du milieu qui est le leur. Décrire les hommes tels qu'ils sont, c'est aussi décrire ce que le contexte social qui est le leur les fait être ; dès lors, une action sur cet environnement zocial reste possible, et avec elle une réforme des imperfections du monde. Il vaut la peine de lire ce texte de Zola, qui constitue une magnifique contribution à l'histoire de la pensée concernant le rapport des hommes à leur milieu.

Dans l'étude d'une famille, d'un groupe d'êtres vivants, je crois que le milieu social a [...] une importance capitale. Un jour, la physiologie nous expliquera sans doute le mécanisme de la pensée et des passions ; nous saurons comment fonctionne la machine individuelle de l'homme, comment il pense, comment il aime, comment il va de la raison à la passion et à la folie ; mais ces phénomènes, ces faits du mécanisme des organes agissant sous l'influence du milieu intérieur, ne se produisent pas au dehors isolément et dans le vide. L'homme n'est pas seul, il vit dans une société, dans un milieu social, et dès lors pour nous, romanciers, ce milieu social modifie sans cesse les phénomènes. Même notre grande étude est là, dans le travail réciproque de la société sur l'individu et de l'individu sur la société. Pour le physiologiste, le milieu extérieur et le milieu intérieur sont purement chimiques et physiques, ce qui lui permet d'en trouver les lois aisément. Nous n'en sommes pas à pouvoir prouver que le milieu social n'est, lui aussi, que chimique et physique. Il l'est à coup sûr, ou plutôt il est le produit variable d'un groupe d'êtres vivants, qui, eux, sont absolument soumis aux lois physiques et chimiques qui régissent aussi bien les corps vivants que les corps bruts. Dès lors, nous verrons qu'on peut agir sur le milieu social, en agissant sur les phénomènes dont on se sera rendu maître chez l'homme.
                            Le Roman expérimental (1880)

Décrire, ce n'est donc pas seulement informer : c'est aussi manifester l'écart entre le réel et l'idéal, et indiquer les voies d'une réforme possible.

La distinction entre une représentation idéalisée de la nature et une représentation réaliste à visée réformatrice se manifeste très clairement dans le revirement auquel a procédé le cinéma hollywoodien au début des années 2000, dans la représentation qu'il donne de l'Afrique. Traditionnellement, le cinéma hollywoodien s'inscrivait dans la grande geste "exotique" du continent africain, objet de tous les rêves et de tous les fantasmes occidentaux, du "bon sauvage" aux tribus cannibales, en passant par ce "côté obscur de la force" qu'il a parfois représenté, par exemple dans cette (fantastique) pièce de Claudel intitulée "Le soulier de satin". Dans cette pièce, l'un des personnages, sorte de double obscur de Rodrigue (le héros classique), possède trois noms successifs : Don Camille, Ochiali et "Cacha Diablo", son surnom africain. La part africaine de Don Camille, c'est la face obscure de l'homme lui-même, le mal instrumentalisé par Dieu pour réaliser ses desseins.

Les grandes fresques hollywoodiennes des années 80, comme "Out of Africa" s'inscrivent dans cet imaginaire. Ce qui ne signifie pas que la violence soit absente de ces oeuvres ; mais cette violence est elle-même intégrée dans une narration largement romantique dont elle constitue l'une des dimensions tragiques. Le but du cinéaste n'est nullement de dresser un portrait réaliste de l'Afrique : au contraire, la vie africaine symbolise encore une fois une forme de voyage initiatique, de retour à une source non corrompue de fidélité à soi-même incarnée dans une vie simple qu'illustre, par exemple, le personnage joué par Robert Redford. L'Afrique d'Out of Africa n'est pas une Afrique "de rêve", mais elle est encore une Afrique rêvée.

Au début des années 2000, on assiste à un revirement radical : surgissent coup sur coup une dizaine de films qui, tous, adoptent une perspective radicalement différente. Foin de l'exotisme romantique : tous ces films adoptent un point de vue réaliste, quasi-journalistique, et s'inscrivent très explicitement dans un projet de dénonciation militante des exactions commises sur le sol africain. Sans les citer tous, on peut retenir, pour les seulles années 2004-2006 :

Hotel Rwanda (2004)

Le cauchemar de Darwin (2004)

Shooting Dogs (2005)

Lord Of War (2005)

Blood Diamond (2006)

Le dernier roi d'Ecosse (2006)

Dans l'ordre, y sont abordés : le génocide du Rwanda (Hotel Rwanda, Shooting Dogs), les méfaits de la mondialisation en Tanzanie (Cauchemar de Darwin), le commerce des armes au Libéria (Lord of War), le trafic des pierres précieuses en Sierra Leone (Blood Diamond), la dictature d'Amin Dada en Ouganda.

Ce qui est marquant, c'est la plupart de ces films (excepté "Le cauchemar de Darwin") s'inscrivent bel et bien dans une lignée "hollywooodienne" : grand public, gros budget, stars à la clé. En règle générale, ce sont d'ailleurs de bons, voire d'excellents films. Mais on peut y repérer des choses inhabituelles pour le cinéma américain grand public : le souci des statistiques (qui plus est : des statistiques exactes !) : c'est le cas dans Lord of War, truffé de chiffres d'un bout à l'autre (la scène d'ouverture est une scène d'anthologie), le parallélisme direct entre la réalité européenne et ce qu'il se passe, au même instant, dans une jungle africaine (magnifique scène "au téléphone" dans Blood Diamond), "morale de l'histoire" ambiguë (Lord of War) voire totalement désespérée (Shooting Dogs). Autant de curiosités dans ce type de cinéma, qui signent le souci d'un réalisme mis au service d'une nécessaire prise de conscience du public. Il ne s'agit pas ici d'éveiller des sentiments sentimentaux, une humeur humaniste, mais de solliciter une prise de conscience concrète, voire active : c'est ainsi que "Lord of War" et "Blood Diamond" se sont explicitement inscrits en accompagnement de deux campagnes d'Amnesty International : la grande campagne de 2005 en faveur de l'adoption d'un traité international sur les transferts d'armements (dont nous avons déjà parlé), et celle de 2006 en soutien à l'application rigoureuse du Protocole de Kimberley. On peut ainsi noter que, un peu partout dans le monde, la sortie en avant-première de ces deux films s'est accompagnée d'une présentation-débat par des membres d'Amnesty.

L'art est ici au service d'une prise de conscience : il se fait militant par l'écart qu'il souligne entre le monde tel qu'il devrait être, et le monde tel qu'il est. L'oeuvre d'art n'est plus une simple copie fidèle du réel, elle n'est pas non plus le support d'une représentation idéalisante : l'oeuvre donne à voir une représentation dont le réalisme manifeste précisément, en creux, ce qui dans le monde tel qu'il est ne devrait pas être, doit être condamné... et corrigé.

C'est la fonction sociale, politique, de l'oeuvre d'art qui apparaît alors, dans un art qui devient art engagé

Une affiche d'Amnesty International, dans le cadre de la campagne contre le commerce des matières premières issues des pays en guerre (2006) 

 

A demain !

 

 

 

 

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