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Le démon est dans Laplace (10.09.09)

Bonjour,

Aujourd'hui nous avons approché la question de l'antagonisme entre liberté et déterminisme, le déterminisme désignant l'ensemble des doctrines qui nient ou récusent l'existence de la liberté humaine, en affirmant :

    _ soit que la raison ne gouverne jamais les actes de l'homme

    _ soit que la raison est elle-même déterminée par une instance qui échappe au contrôle de l'homme.

Nous avons distingué le déterminisme absolu (négation radicale de la liberté) et le déterminisme relatif (limitation de la liberté)

A) Le déterminisme matérialiste

Le déterminisme matérialiste tel que nous l'envisagerons récuse la liberté au nom d'une soumission du domaine de l'esprit (ensemble des choses qui peuvent être saisies par une conscience) au domaine de la matière (ensemble des choses qui peuvent faire l'objet d'une perception sensorielle). La raison appartenant au domaine de l'esprit,  il va de soi dès lors que la liberté disparaît.

Le raisonnement du déterminisme matérialiste est simple, car il repose sur des hypothèses qui semblent évidentes :

    a) le domaine de la matière est régi par des lois, les lois de la nature que découvre la science (lois physico-chimiques) ; tout comportement d'une chose matérielle résulte d'une cause matérielle (un atome ne change pas de direction sans raison, et cette raison ne peut être qu'une cause matérielle : choc avec un autre atome, attraction gravitationnelle ou électromagnétique, etc.)

    a. bis.) Le comportement des choses matérielles (ballon de foot) est strictement prévisible si l'on connaît l'ensemble des facteurs matériels du système matériel auquel il appartient (on peut prévoir la trajectoire du ballon de foot si l'on connaît sa vitesse et son accélération de départ, la résistance de l'air, etc.) Ce comportement est donc déterminé.

     b) L'esprit ne peut avoir d'action directe sur la matière : il n'y a pas d'action "à distance" de la pensée sur une petite cuillère, un rêve ou une idée ne peut pas "produire" dans le corps (et particulièrement dans le cerveau) une connexion synamptique, une décharge hormonale, etc.

Ces trois hypothèses suffisent pour détruire la liberté. Car dans ce cas le comportement humain (en tant que comportement d'un corps dans le monde) apparaît, au même titre que celui de n'importe quel élément matériel, strictement déductible à partir des lois de la nature et des facteurs matériels impliqués. Les mouvements du corps humain sont peut-être déterminés par ce qu'il se passe dans le cerveau, mais ce qu'il se passe dans le cerveau, ce sont des interactions entre constituants matériels (connexions synaptiques, échanges hormonaux, potentiels d'action électrique, etc.), lesquels ne sont pas "causés" par les idées, mais par des mécanismes strictement matériels (d'autres connexions, d'autres décharges hormonales, etc.)

On peut donc admettre la thèse de Pierre Simon de Laplace, selon laquelle un être qui connaîtrait, à un instant t, la vitesse et la position exacte de toutes les particules de l'univers (ainsi que toutes les lois de la science), pourrait prévoir tout l'avenir du monde et déduire toute son histoire passée. (hypothèse dite du "démon de Laplace")

Dans cette hypothèse, la liberté devient une simple illusion, puisque l'esprit humain ressemble alors au saphir d'un tourne-disque qui découvre instant par instant le cours d'une histoire déjà écrite...

Cette hypothèse (qui découle directement de l'adoption des hypothèses a, abis et b) ne nous donne le choix qu'entre deux formes de déterminismes :

a) soit ce que l'esprit pense est lié à ce qu'il se produit dans le corps, mais alors, dans la mesure où l'esprit n'agit pas sur le corps et où le comportement du corps est entièrement déterminé, il faut admettre que ce sont les échanges physico-chimiques du corps qui déterminent ce que pense l'esprit, et non l'inverse (ce qu'exigerait la liberté). On aboutit à une équation A --> (V -->) R, soit une anti-liberté !

b) soit le comportement du corps ne détermine pas ce qu'il se passe dans l'esprit, mais alors le domaine de l'esprit et celui du corps sont simplement deux domaines entre lesquels aucune communication n'est possible : la simultanéité entre les deux devient totalement inexplicable, c'est un pur et simple "mystère", comme le veut le christianisme.

Nous avons approché en cours une variante contemporaine de ce déterminisme avec la notion de déterminisme génétique.

Dès que l'on admet que l'histoire de l'individu (notamment son historie médicale : ses pathologies, etc.) est déterminée par son génome, ie par son "programme" ADN, alors il faut admettre que ce qu'il advient à l'individu échappe au contrôle de sa raison (ce n'est pas notre raison qui choisit notre génome...). Ceci réintroduit une forme de détermination du sujet par des mécanismes biologiques, physico-chimiques qui traversent son corps. La liberté humaine est donc d'autant plus limitée que l'impact du génome est important : la question est alors de savoir jusqu'où notre génome nous détermine : certains scientifiques des années 1980-90 ont mis en lumière l'impact de l'identité génétique sur le déclenchement de pathologies physiques ou mentales (l'exemple le plus radical étant sans doute la trisomie); mais on a pu aussi rêver (ou cauchemarder) à un gène de l'assassin, un gène du violeur, etc. Ces derniers exemples (qu'aucune théorie scientifique sérieuse n'endosserait aujourd'hui) montrent que plus l'impact du génome est large, et plus le champ de la liberté, de la responsabilité s'amenuise. Si je suis déterminé par mes gènes (corporels) à me conduire comme un violeur, où est ma liberté ?

Ce qui est intéressant, c'est que ce qui, du point de vue scientifique, s'oppose à l'idée d'un déterminisme génétique absolu ne semble pas en mesure de sauver notre liberté. Ce qui ruine en effet l'idée d'une "programmation" complète de l'individu par son génome, c'est le fait que les effets du génome dépendent de l'environnement de l'individu : les études sur les vrais jumeaux (mêmes gènes) montrent par exemple que si l'un des frères est atteint d'une pathologie du type autisme ou schizophrénie, l'autre a statistiquement plus de (mal)chance de souffrir de cette pathologie : il y a donc bel et bien une influence du génome sur cette forme de pathologie. En revanche, ces mêmes études montrent que l'un des deux frères peut ne pas souffir de la maladie ; le génome n'est donc pas le seul facteur, : le contexte environnemental, familial, professionnel, etc. ont également leur rôle à jouer.  Le corps (le génome) peut influencer l'esprit (pathologie mentale), mais il ne peut le déterminer absolument.

Le déterminisme génétique ne peut donc être considéré comme un déterminisme absolu : ni l'histoire du corps, ni celle de l'esprit ne peuvent être déduites de la lecture d'un génome. Le problème est que ceci ne sauve pas directement la liberté. Car ce qui pose fait du déterminisme génétique un "déterminisme" au sens strict, c'est le fait que la raison ne puisse pas déterminer le génome. D'après notre définition de la liberté, si la raison (R) pouvait déterminer (choisir) le génome, alors nous serions déterminés par quelque chose qui serait déterminé par notre raison... et la liberté serait sauvée. Il faudrait simplement rajouter un "G" quelque part dans notre équation (du type : L = R --> G --> V --> A, ou L = R --> V --> G --> A).

Or le fait de souligner la complémentarité du génome et de l'environnement ne semble pas sauver la liberté... car nous n'avons pas non plus choisi librement (rationnellement) notre environnement social, familial, etc. Nul n'a choisi :

    a) de naître

    b) de naître de ces parents-là

    c) de naître de ces parents dans ce milieu social-là...

    d) de naître de ces parents dans ce milieu social dans ce contexte culturel-là... (songeons à l'impact du lieu de naissance sur la religion adoptée... ce qui vaut aussi pour l'athéisme !) 

Limiter l'impact du génome par celui de l'environnement, c'est donc (semble-t-il) limiter un déterminisme... par un autre déterminisme, que l'on pourrait appeler déterminisme social. C'est un problème que nous affronterons dans quelques heures.

En attendant, je vous laisse sur ces deux idées que certains d'entre vous ont soulevées, et qui sont tout à fait pertinentes dans l'optique d'une réflexion sur la liberté :

     a) Si nous sommes déterminés (par des mécanismes physico-chimiques, par des gènes, par un environnement...), comment sauver la responsabilité ? Comment punir un criminel qui était déterminé à agir de façon criminelle par le jeu des atomes, par ses gènes, par son environnement, etc. ? Cela semble impossible.

     b) Si même nous admettons que le déterminisme matérialiste est une erreur, pouvons-nous sauver la liberté ? Supposons en effet qu'il existe quelque chose, notre "identité", qui ne soit déterminée ni par nos gènes, ni par notre environnement, ni par les mécanismes physico-chimiques de notre cerveau, etc. Quelque chose comme des "traits de caractère", une identité, une "personnalité" qui feraient que, avec un génome identique, face aux mêmes circonstances, NOUS agirions différemment d'un autre ; bref, supposons que nous ayons une "âme" qui nous singularise absolument, qui nous identifie comme "courageux", "lâche", "moral", "égoïste", etc. Avons-nous dès lors sauvé la liberté ? Pas sûr... Car cette "âme", vous ne l'avez pas choisie rationellement (vous ne l'avez pas choisie du tout !) Quand l'auriez-vous choisie ? Avant votre naissance ? Et pourquoi dans ce cas existe-t-il des individus stupides, lâches, méchants, etc. ? Il semble que l'on puisse affirmer de façon claire et catégorique que vous n'avez pas choisi d'être celui que vous êtes.  Et comme par ailleurs vous n'avez pas non plus choisi de naître, il semble que vous soyez condamnés à jouer un rôle, votre rôle, jusqu'à la mort, sans avoir choisi ni le rôle, ni la pièce, ni même d'être acteur.   

Où est la liberté ?   

 

 

 

     

 

 

 

 

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