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Libéralisme et démocratie (08.02.10)

Bonjour,

Conformément à notre programme initial, nous allons à présent chercher à articuler la critique républicaine de l'anarchisme et la doctrine libérale de l'Etat. Cette fois encore, il faut (re)partir de l'impératif initial qui est de sauvegarder et garantir les libertés individuelles.

On pourrait approcher cette doctrine en partant de la distinction entre libéralisme politique et libéralisme économique ; mais on peut aussi essayer d'en reconstruire les fondements en montrant comment "le" libéralisme désigne précisément le courant de pensée selon lequel le libéralisme "politique" implique le libéralisme économique. On se rapproche alors de ce que l'on appelle aujourd'hui "libéralisme", qui désigne une posture à la fois politique et économique (voire politique donc économique).

Si l'on cherche en effet à définir le "libéralisme politique", on aboutit à quelque chose qui ressemble beaucoup à ce que nous avons déjà dit concernant l'argumentaire républicain. Si l'on ouvre la page Wikipedia consacrée au libéralisme, on lit : "Le libéralisme est un courant de pensée de philosophie politique, né d'une opposition à l'absolutisme et au droit divin dans l'Europe des Lumières (XVIIIe siècle), qui affirme la primauté des principes de liberté et de responsabilité individuelles sur le pouvoir du souverain. Il repose sur l'idée que chaque être humain possède des droits fondamentaux qu'aucun pouvoir ne peut violer."

Petite remarque : il faut prendre garde ici au terme de "souverain". Dans ce passage, le souverain, c'est le gouvernement au sens large, ie l'instance chargée d'exercer le pouvoir politique. Alors que dans le texte des Déclarations que nous avons cité, il faut faire une distinction entre le souverain et le gouvernement : le souverain, c'est celui qui détient le pouvoir législatif (dire la loi) ; le gouvernement, c'est celui qu détient le pouvoir exécutif (faire appliquer la loi). Cette distinction est conforme à celle que l'on trouve chez Rousseau. Pour Rousseau, un "gouvernement" peut être monarchique (gouvernement d'un seul), aristocratique (plusieurs), démocratique (tous), et ces trois formes sont envisgeables. En revanche, un régime politique se définit par l'instance qui détient la souveraineté, c'est-à-dire le pouvoir législatif. Et, pour Rousseau, seul le peuple étant souverain, il n'existe qu'un seul régime politique légitime : le régime démocratique.

Dans le texte cité plus haut, il faudrait donc plutôt dire que le libéralisme affirme la primauté des libertés individuelles sur le pouvoir des gouvernants. Le problème, c'est que dans ce cas on ne voit pas bien ce qui distingue la doctrine républicaine en général de la doctrine libérale. Si on lit quelques lignes plus bas (toujours sur la wiki), on lit : "La plus haute tâche de l'État est d'assurer et de défendre la liberté individuelle qui est considérée comme imprescriptible. La liberté individuelle étant aux yeux des libéraux la norme fondamentale et le fondement de la société humaine autour de laquelle l'État, l'ordre politique et économique doivent être structurés."

Si l'on rappelle que les "droits fondamentaux" (liberté, égalité (des droits), propriété, sûreté) étaient, dans l'argumentaire républicain, tous formulables en termes de liberté, on voit que tout ceci correspond exactement à ce que nous avons déjà dit concernant le texte des Déclarations.

Faut-il alors dire que les Déclarations des Droits de l'Homme sont des textes "libéraux" ? C'est ce que diraient la plupart des théoriciens du libéralisme, selon lesquels être un républicain cohérent, c'est être libéral. C'est aussi ce que dira Marx. Et c'est même, nous le verrons, ce que dira Robespierre...

Mais de tels jugements sont déjà des jugements politiques. Par exemple, si les libéraux affirment que les déclarations sont libérales, c'est parce que selon eux, seul le libéralisme est compatible avec les principes républicains. Il faut donc chercher à définir ce que désigne le libéralisme "économique" pour tenter de trouver ce que la doctrine libérale ajoute à l'argumentaire républicain.

Le libéralisme économique affirme que l'Etat doit intervenir le moins possible dans la sphère économique, dans la mesure où cette intervention met en danger le respect des libertés individuelles. C'est donc bien au nom du libéralisme politique (primauté des libertés individuelles sur l'action de l'Etat) que le libéralisme économique se justifie. La question est alors de savoir pourquoi l'intervention de l'Etat dans le domaine économique, et plus largement dans le domaine des échanges socio-économiques, met en péril le respect des libertés individuelles.

Il est évidemment réducteur de limiter l'argumentaire libéral à quelques arguments. Mais nous en retiendrons ici deux, avancés par l'un des grands théoriciens contemporains du libéralisme, qui éclairent bien les enjeux et les débats actuels qui concernent l'action de l'Etat. Cet auteur est l'économiste et philosophe autrichien Friedrich Hayeck. 

Le premier argument concerne le conflit entre l'intervention de l'Etat et le respect de la souveraineté du peuple. Pour Hayeck, être républicain, c'est être démocrate, dans la mesure où seul un régime démocratique respecte la liberté politique des individus. Dans un régime démocratique, les individus se soumettent à des lois qu'ils ont eux-mêmes choisies, et non à des lois que l'Etat leur impose. En ce sens, dans une démocratie les individus sont auto-nomes, ils obéissent à leurs propres lois : ils sont libres. Or pour Hayeck, l'intervention de l'Etat dans le secteur socio-économique met en péril les principes démocratiques. Pourquoi ?

La réponse est simple, mais puissante. Prenons appui sur un exemple. L'un des pivots de l'économie actuelle, ce sont les taux d'intérêts. Les taux d'intérêts fixebt le "prix de l'argent", c'est-à-dire le coût d'un emprunt de monnaie. Si les taux d'intérêts sont bas, il n'est pas très coûteux d'emprunter de l'argent, et les entreprises (notamment) sont encouragées à investir ; si les taux d'intérêts sont élevés, alors il faut que l'investissement soit vraiment rentable pour compenser le rembouresement des intérêts, ce qui freine l'investissement. D'un autre côté, si les taux d'intérêts sont bas, alors il y a beaucoip de "création" de monnaie et la monnaie circule plus vite, ce qui tend à augmenter les prix (inflation). Inversement, si les taux d'intérêts sont élevés, cela tend à limiter l'inflation. C'est ce qui explique les débats interminables qui ont lieu aujourd'hui autour des taux d'intérêts de la BCE (banque centrale européenne) : certains disent "il faut baisser les taux, pour encourager l'invetissement" ; et d'autres disent "il faut augmenter les taux, pour limiter l'inflation". [Je simplifie un peu, mais l'idée y est.]

Bien. Vous n'avez pas à retenir le détail de cette argumentation : le but était simplement de montrer l'enjeu considérable que représente actuellement la question du niveau des taux d'intérêts. On peut donc admettre que, si l'Etat veut intervenir dans le secteur économique, il va bien devoir s'occuper de taux d'intérêts. Et c'est bien là le problème. Car l'Etat va alors devoir choisir ce qu'il convient de faire : pour reprendre l'analyse précédente, il va devoir décider s'il convient de baisser les taux pour faciliter la "reprise" (une optique notamment défendue par l'ancien directeur de la banque centrale des Etats-Unis, Alan Greenspan) ou si au contraire il faudrait limiter la baisse des taux pour éviter l'inflation (optique actuellement soutenue par le président de la banque centrale européenne, Jean-Claud Trichet).

La question est : sur quelle base va-t-il prendre sa décision ? L'idéal démocratique exigerait que cette décision soit prise, soit par le peuple lui-même (sous la forme, par exemple, d'un referendum), soit par ses représentants politiques, mais de manière telle que le bien-fondé de cette décision puisse être compris et validé par le corps électoral. Dans le cas contraire, cela reviendrait à dire que l'Etat doit prendre une décision dont les répercussions sont très fortes pour la vie des citoyens, sans que ceux-ci puissent même comprendre au nom de quoi, selon quels principes cette décision a été prise.  Ce qui ne semble pas très démocratique.

Or comment une telle décision pourrait-elle être soumise au contrôle démocratique ? Dire qu'elle doit être adoptée par referendum est très, très ambitieux : cela supposerait que tous les citoyens soient à même d'énoncer un jugement réfléchi et éclairé concernant des questions économiques.... ce qui est discutable (certains courants politiques tentent cependant de tenir le pari).  Dire que les justifications apportées doivent être validées par l'ensemble des citoyens est, en fait, encore plus infaisable : car il est tout à fait possible de soutenir, de façon très rationnelle, l'un et l'autre choix. Un économiste X pourra démontrer de façon fort convaincante qu'il faut baisser les taux ; et un économiste Y pourra démontrer de façon tout aussi convaincante qu'il faut les augmenter. Demander au suffrage universel de trancher, cela revient donc à demander aux citoyens d'adopter une posture de "méta-économiste", capable de désigner le plus raisonnable des argumentaires économiques...

Le débat est encore compliqué par le fait que les représentants politiques eux-mêmes, dotés d'une légitimité démocratique, ne sont pas nécessairement compétents pour trancher ces débats! Et ils n'ont d'ailleurs pas été désignés par le suffrage universel pour leur compétence en matière de théorie économique (comment le pourraient-ils ?) L'Etat va donc devoir déléguer sa décision à des comités "d'experts" qui, eux, n'ont absolument aucune légitimité démocratique, et rendront des décisions dont les justifications resteront hermétiques pour l'écrasante majorité des citoyens... Ce qui, encore une fois, ne semble pas du tout démocratique !

L'idée est assez simple. Tant qu'il s'agit du domaine politique, on peut admettre que tous les citoyens, en tant que sujets dotés de raison et de conscience, sont compétents pour formuler un jugement éclairé. Ainsi, à des questions politiques telles que : "faut-il abolir la peine de mort ?" ou "faut-il reconnaître le droit de vote aux étrangers ?", etc. on peut admettre qu'une réponse raisonnable peut être apportée par le seul exercice du jugement individuel. Conformément à une vieille idée (que l'on trouve déjà chez Platon), le jugement politique ne repose pas sur des connaissances techniques, mais sur un raisonnement bien mené. En revanche, le domaine économique exige une compétence que seule peut apporter une formation technique, permettant d'acquérir des connaissances spécialisées. Par conséquent, si l'on peut admettre que tout citoyen est, en tant que sujet raisonnable, compétent pour former un jugement politique, il ne l'est pas nécessairement pour émettre un jugement économique.

Et par conséquent, admettre l'intervention de l'Etat dans le domaine économique, c'est justifier l'idée selon laquelle l'exercice du pouvoir par l'Etat peut et doit échapper au contrôle démocratique.

Conclusion de Hayeck : être républicain, c'est être démocrate ; et être démocrate, c'est être libéral.

Le second argument que nous présenterons prend aboutit à la justification de la concurrence comme seul critère déterùinant les inégalités socio-économiques. Pour Hayeck (comme pour Robespierre), il est impossible de vouloir supprimer totalement les inégaliéts socio-économiques sans détruire les libertés. Une société strictement égalitaire du point de vue socio-économique exigerait un contrôle étatique permanent incompatible avec les libertés, notamment avec le droit de disposer librement du fruit de notre travail (puisque l'Etat devrait confisquer tout excédent de revenu issu du travail).

La question n'est donc pas de savoir s'il doit y avoir des inégalités, mais par queoi elles doivent être déterminées. Pour Hayeck, qui suit en cela le texte des Déclarations, les inégalités ne peuvent être justifiées que par un critère qui échappe entièrement à l'arbitraire des gouvernants. Seules peuvent être considérées comme justifiables des inégalités qui ne dépendent pas du bon vouloir de tel ou tel membre du pouvoir politique.

Or quel est le (seul) critère qui permet de détacher la répartition des ressources de l'arbitraire des gouvernants ? C'est celui qui fonde la réussite socio-économique des individus sur leurs dons, leurs efforts et leur chance. Pensons ici à l'argumentaire républicain que nous avions développé lors de notre étude du système scolaire. Il serait vain de vouloir attribuer la même note à tous les élèves (ce serait injuste pour les élèves qui ont de meilleurs capacités, quui travaillent plus, etc.) Les écarts de notes entre les élèves ne doivent être fondés que sur leurs dons (leur intelligence), leurs efforts, et leur chance (il va de soi , par exemple, que l'on est plus ou moins chanceux face au choix du sujet qui "tombe"). Le fait de reconnaître ici le rôle de la chance ne fait que rendre explicite une donnée déjà présente au sein de l'argumentaire républicain. 

Or que est le mécanisme qui, dans le domaine socio-économique, permet de fonder les inégalités sur les dons, le travail et la chance ? Ce mécanisme, c'est tout simplement la concurrence. La mise en concurrence des individus aboutit à la réussite de ceux qui sont les plus compétents, de ceux qui consentent à fournir les plus grands efforts, et que la chance n'a pas abandonnés. Les inégalités qui résultent du jeu de la concurrence ne sont pas "injustes", pas plus que ne le sont en tout cas les inégalités qui resultent d'un concours au sein duquel les copies ont été anonymées. Pour le dire en une phrase, si l'on admet que le moyen le plus juste de "noter" des copies est le concours anonymé, il faut admettre que le critère le plus juste permettant de fonder les inégalités socio-économiques est la concurrence. La rivalité anonyme des candidats permet d'évacuer toute intervention arbitraire du correcteur dans la détermination des résultats : la concurrence des individus dans le monde socio-économique rend les inégalités indepandantes de l'arbitraire des gouvernants. En ce sens, elle est seule compatible avec le respect des libertés individuelles.

En quoi cela exclut-il l'Etat du domaine socio-économique ? En fait, cela ne l'exclut pas. L'idée majeure est évidemment qu'il n'est nul besoin de l'Etat pour faire en sorte que les individus cherchent à promouvoir leur propre intérêt au jeu de la concurrence : il suffit de "laisser faire". L'Etat n'a pas besoin d'intervenir pour que des entreprises cherchent à utiliser le mieux possible leurs ressources (budgétaires, humaines, etc.) pour remporter des marchés, créer des benefices, etc.  Il n'y a qu'à "laisser faire" les entreprises. L'Etat n'a pas non plus besoin d'intervenir pour que l'entreprise qui offre la meilleure prestation soit choisie par le consommateur : il n'y a qu'à "laisser faire" le consommateur. En ce sens, moins l'Etat intervient, et mieux la concurrence fonctionne. 

Mais il peut arriver que ce libre jeu de la concurrence, qui corrèle une offre et une demande, se "bloque". C'est notamment ce qui arrive lorsque l'on aboutit à une configuration du marché au sein de laquelle le jeu de la concurrence est rendu impossible par le fait qu'il ne reste qu'un seul joueur dans un secteur déterminé : lorsqu'une seule entreprise est prestataire d'un service, elle n'est plus en situation de concurrence : elle peut donc exploiter sa situation dominante pour offrir de mauvais services à des prix exorbitants, etc. C'est pourquoi l'Etat doit intervenir (par le droit, notamment) pour interdire ces situations de "monopole". L'intervention de l'Etat est donc ici justifiée au nom de la concurrence : il doit veiller à ce que les conditions de la libre concurrence entre les acteurs sociaux soient garanties.

Cette fois encore, le fait de poser le respect des libertés individuelles comme impératif absolu (fondement du libéralisme "politique") nous conduit à limiter le plus possible l'intervention de l'Etat dans le domaine socio-économique. (libéralisme "économique") En d'autres termes, être républicain, c'est être libéral-politique, et être libéral-politique c'est être libéral-économique.

On comprend dès lors que toute critique valide du libéralisme ne pourra se fonder que sur deux principes.

     a) soit admettre qu'il existe un critère de justice supérieur au respect des libertés (par exemple en affirmant que l'égalité socio-économique et plus importante que le respect des libertés, ou que le respect de la Parole de Dieu prime sur les libertés individuelles, etc.). Il s'agit alors de construire un autre système politique, qui ne sera pas nécessairement républicain.

     b) soit admettre que le respect des libertés est bien le critère de justice fondamental, mais que précisément, pour que ces libertés soient sauvegardées, l'Etat doit intervenir dans le secteur socio-économique. Il s'agit alors de réfuter la doctrine libérale, en montrant que c'est la sauvegarde des libertés individuelles qui exige l'implication de l'Etat dans la sphère économique.

Une caricature humoristique visant à critiquer les amalgames que l'on trouve au sein de "l'anti-libéralisme"

On doit alors remarquer que, d'un point de vue théorique, socialisme et communisme appartiennt bien au second  volet. Contrairement à l'idée selon laquelle, pour les doctrines socialiste ou communiste, l'égalité serait "plus importante" que la liberté (contrairement à ce qu'il se passe pour le libéralisme), c'est bien au nom de la liberté que l'intervention de l'Etat dans le domaine socio-économique se trouve, dans l'un et l'autre courants, justifiée. En ce sens, socialisme et communisme restent conformes à ce que nous avions désigné comme princie du système républicain... quelles que soient par ailleurs les critiques que ces deux courants effectueront, au cours de leur histoire, des institutions républicaines !

A demain...

 

 

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