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Lutte des classes (02.03.10)

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Bonsoir,

Pour reconstruire la critique communiste du socialisme, il convient d'abord de se débarasser de la plupart des idées qui viennent à l'esprit lorsque l'on étudie, parallèlement au programme de philo, la période de la guerre froide. On peut éventuellement y repenser après, mais le fait d'envisager la doctrine communiste à la lumière du communisme stalinien est le meilleur moyen de produire du contresens.

Une vieille affiche de 1934... qui ressort de temps en temps.

Pour introduire notre critique du socialisme, nous avons pris appui sur un texte de Jaurès qui se trouve ici. Pour en comprendre l'argumentation, il faut repartir des origines de la domination que la critique sociale du libéralisme avait mises en lumière. Pour Robespierre, l'atteinte aux libertés provenait principalement du fait que l'illimitation du droit de propriété conduisait à une situation où, une partie de la population possédant l'eessentiel des richesses tandis qu'une autre partie ne possédait plus rien, la seconde était vouée à subir la domination de la première pour pouvoir subsister. Et nous avions vu que, pour Robespierre, cette domination prenait notamment le chemin d'une appropriation des terres par les plus puissants, conduisant les paysans les plus pauvres, sans terre, à vendre leur force de travail à n'importe quelles conditions. L'intervention de l'Etat dans le secteur économique devait donc principalement prendre la forme d'une réforme agraire, fondée sur une plus juste répartition de ce "dispositif de production" que constitue la terre dans le domaine agricole. Pour Robespierre, comme pour Goujon et Saint Just, limiter le droit de propriété, c'est aussi limiter l'étendue des propriétés autorisées... ce qui revient en fait à détruire la grande propriété agricole (le chiffre de 40 hectares fut proposé par Goujon) : les terres ainsi libérées devaient être redistribuées aux paysans les plus pauvres.

Un penseur de la Révolution un peu oublié : Jean-Marie-Claude-Alexandre Goujon

De même, chez Tocqueville, l'assujettissement de la population ouvrière se fondait sur la concentration de la propriété. Mais il ne s'agissait plus, cette fois, de la propriété de la terre, mais de la propriété des usines, dispositifs de production dans le domaine industriel.

Bref, dans les deux cas, la domination de l'homme sur l'homme reposait sur le fait qu'une catégorie sociale possédait les moyens de production : propriété de la terre dans un cas, propriété des industries dans l'autre.

Nous avons vu comment le socialisme tentait de répondre à ce problème : d'une part en cherchant à assurer à tous les individus, même les plus pauvres, l'accès à la jouissance de leurs droits fondamentaux (par des services publics, etc.), et d'autre part en mettant en oeuvre un droit du travail faisant obstacle à la domination du travailleur par le propriétaire. Enfin, dans le socialisme d'Allende, la troisième voie consistait à nationaliser les moyens de production (notamment les industries) pour substituer à la propriété privée des moyens de production une propriété publique (l'Etat socialiste ne pouvant, par définition, se faire l'exploiteur des travailleurs dont il est censé être l'émanation).

Une caricature humoristique suisse, parue au moment du sauvetage des banques (janvier 2009), que certains voyaient comme un prélude à leur nationalisation...

D'un point de vue communiste, tout ceci est bel et bon... mais loin d'être suffisant. Pour Jaurès, le socialisme a bien vu la source de la domination de l'homme sur l'homme, qui est la propriété privée des moyens de production. Mais il n'a pas été jusqu'au bout de sa démarche, qui est l'abolition de l'appropriation des moyens de production ou, pour le dire autrement, la mise en place d'une propriété collective, commune, des moyens de production. Tel est ce que cherche à montrer le texte de Jaurès : en maitenant le principe de la propriété privée des moyens de production, voire en cherchant à transformer cette propriété privée en propriété d'Etat, le socialisme peut bien chercher à atténuer, à adoucire la domination de l'homme sur l'homme. Mais il ne l'abolira pas. Le seul et unique moyen d'abolir la domination de l'homme sur l'homme, c'est d'en abolir la source, qui est l'appropriation des moyens de production par une partie du corps social. Il faut rendre les moyens de production à tous les individus du corps social : la collectiviser, la "communiser" : ce qui définit le programme économique... du communisme.

Avant d'entrer dans le détail du texte de Jaurès (qui, de l'aveu de tous nos hommes politiques actuels, constitue une grande figure du patrimoine politique français), il faut effectuer deux mises au point.

La première concerne la notion de capitalisme, qu'il faut impérativement pouvoir définir. Le capitalisme désigne un mode d'organisation du système de production, dont l'architecture est assez simple. Ce qui définit le capitalisme, c'est le fait qu'un salarié, en utilisant sa force de travail pour utiliser un dispositif de production (machine, etc.) appartenant à un propriétaire (le capitaliste), permet de produire quelque chose dont la valeur marchande est distribuée (après la vente) entre (a) le propriétaire des moyens de production (le capitaliste), (b) le salarié, et (c) un nouvel investissement dans le dispositif de production.

Les deux points-clé du dispositif sont :

     a) que le salarié ne reçoit qu'une fraction de la valeur de sa production ; contrairement à ce qu'il se passe pour un agriculteur qui cultive sa terre et qui va vendre au marché sa production, empochant la totalité du prix de vente, le salarié ne reçoit qu'une partie du prix de vente de la valeur de sa production : son salaire. Et c'est précisément parce qu'il touche moins que la valeur de ce qu'il produit qu'il peut y avoir un bénéfice, une "plus-value" réalisée.

     b) qu'une partie du bénéfice est réinvestie dans le dispositif de production, pour sa maintenance et son développement. Le capitalisme s'oppose donc radicalement à une économie de rente, où le propriétaire consomme la totalité des bénéfices sans les réinvestir. Si le capitaliste cnsomme ses bénéfices sans les réinvestir, ce n'est plus un capitaliste, c'est un rentier.

De ces deux caractéristiques on peut déduire ce que Marx considère comme les deux propriétés majeures du mode de production capitaliste :

     a) le mode de production capitaliste est une machine extraordinairement puissante d'exploitation des ressources et de développement des forces productives. En effet, dans ce système, la plus-value dégagée par le système de production sert  (grâce aux investissements) à accroître l'efficacité de ce système : plus le système est efficace, performant, plus il dégage de plus-value ; et plus il dégage de plus-value, plus il devient efficace et performant !

Pour ne pas sombrer dans l'anticapitalisme stupide, il convient donc de se rappeler que, pour Marx, le mode de production capitaliste est le système productif le plus puissant, concernant l'exploitation des ressources et le développement des forces productives, que l'histoire ait jamais connu.

Marx et Engels

On peut donc dire du système capitaliste selon Marx qu'il est deux fois "nécessaire" : il est rendu nécessaire, inévitable, par une loi de l'histoire (sur laquelle nous reviendrons bientôt), selon laquelle (selon Marx) une société développera toujours le mode de production qui correspond à celui qui, pour l'époque, permet le développement optimal des forces productives. En ce sens, vouloir "supprimer" le capitalisme dans l'histoire, c'est méconnaître une loi fondamentale du développement historique des sociétés. Si le capitalisme s'est developpé, c'est qu'il constituait le mode de production permettant le développement maximum des forces de productives à cette époque (comme le fut l'esclavage à une autre époque). On peut le regretter, mais il n'en était pas moins absolument inévitable. Et, pour Marx, vouloir "sauter" l'étape capitaliste pour "passer" directement au socialisme est une absurdité historique. C'est impossible. L'histoire ne fait pas de saut. Le capitalisme correspond à un stade déterminé de développement des sociétés, il est le mode de production qui correspond à un stade du développement des forces productives. Vouloir le court-circuiter, c'est vouloir aller "plus vite que l'histoire" : ce qui, pour Marx, est absolument impossible.

Mais le capitalisme est également "nécessaire" en ce que lui seul, par le développement titanesque qu'il produit des forces productives de l'homme, par le bond faramineux qu'il effectue dans l'exploitations des ressources, nous permet de passer à l'étape suivante. Une société communiste ne peut absolument pas se construire si la richesse globale ne permet pas de satisfaire pleinement les besoins de tous. Or pour que cette condition soit satisfaite, il faut que le système de production ait atteint un stade d'efficacité et de performance... auquel seul le capitalisme peut conduire. Il faut que la maîtrise de la nature par l'homme soit extrêmement avancée pour que la société puisse mettre en oeuvre le mot d'ordre communiste : "de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins" (Marx, "Critique du programme de Gotha") ; et seul le capitalisme peut nous mener jusqu'à ce stade.

Il faut donc faire très attention à la "critique" du capitalisme chez Marx. Le système capitaliste peut conduire, (pour Marx : conduit nécessairement) à l'exploitation de l'homme par l'homme. Il n'en est pas moins nécessaire, comme le fut l'esclavage en son temps. Il est nécessaire dans la mesure où il est absolument inévitable, il constitue une étape dans l'histoire ; il est nécessaire dans la mesure où il est il s'agit d'une étape indispensable pour accéder à l'étape ultime, la société sans domination : la société communiste. Le capitalisme est historiquement nécessaire et humainement affreux : tel est le double visage du "capitalisme" selon Marx.

     b) car le capitalisme n'est pas seulement un formidable dispositif d'exploitation des ressources : il est aussi un extraordinaire dispositif d'exploitation des hommes. Pourquoi? Si l'on s'interroge sur la place du salarié dans le dispositif, on voit deux choses. La première, c'est que la seule chose qui soit véritablement nécessaire du point de vue de la production, c'est que le salarié survive, qu'il soit en mesure de travailler. La seconde, c'est que le travailleur n'a d'autre moyen de survivre que de vendre sa force de travail à un capitaliste. On a donc :

_ le capitaliste a besoin que le travailleur survive pour qu'il puisse travailler ;

_ le travailleur a besoin de travailler pour pouvoir survivre ;

_ la concurrence entre les travailleurs pour l'accès à l'emploi (chômage) fait tendre les salaires vers leur niveau minimum

Une affiche marxiste de 1968...

La conclusion que l'on peut en tirer est que la logique de la production (qui vise l'efficacité maximale du système de production) aboutira au fait de fixer le salaire à ce qui correspond au minimum vital. Tant que le salaire permet au travailleur de se reproduire lui-même (d'une journée de travail à l'autre), suffisamment longtemps pour produire une nouvelle génération de main d'oeuvre, le système est efficace. Si le salaire dépasse ce seuil, alors la part des bénéfices réinvestie dans le dispositif de production diminue, ce qui est contredit l'efficacité optimale du système.

Cette dernière affirmation montre bien la manière dont s'articulent exploitation des ressources et exploitation de l'homme dans le système capitaliste : plus le système exploite les hommes, et plus il accroît son efficacité, sa puissance d'exploitation de la nature. C'est donc parce qu'il est une machine à exploiter le plus possible les travailleurs qu'il est une machine à exploiter le plus possible les ressources de la nature. La domination de l'homme sur l'homme est donc la condition de la domination de l'homme sur la nature.

 

 

On voit bien ici comment la division de la société en "classes" repose sur la propriété des moyens de production : d'un côté les "capitalistes", les "patrons", ceux qui possèdent les moyens de production ; de l'autre les "travailleurs", les classes "laborieuses" (labor = travail) ceux qui font fonctionner ces dispositifs. D'un côté "le patronat", de l'autre, les "prolétaires".On comprend bien, à ce stade, pourquoi la suppression de la domination exige l'abolition de la propriété privée des moyens de production.

Ce que l'on voit moins, en revanche, c'est pourquoi la nationalisation des moyens de production ne règlerait pas le problème. Si l'Etat devient le propriétaire des moyens de production, et que l'Etat est (comme ce doit être le cas dans une société socialiste) au service des travailleurs, alors comment l'exploitation des travailleurs pourrait-elle subsister ? La question se pose. Et c'est d'ailleurs Staline lui-même qui l'objectera aux détracteurs du système soviétique : dans l'Union Soéviétique, dira Staline, l'Etat est au service des travailleurs, les travailleurs sont l'Etat : comment vouluez-vous que l'Etat opprime les travailleurs ? Cela voudrait dire que les travailleurs s'oppriment eux-mêmes, ce qui est absurde.

La réponse à cette question, qui donne la clé du texte de Jaurès (auquel nous allons finir par aboutir...) se trouve dans la doctrine marxiste de l'Etat, que l'on peut résumer en une phrase : pour Marx, l'Etat est et sera toujours au service de la classe dominante. Cela vaut pour n'importe quelle société : aussi bien capitaliste que socialiste. Changer de propriétaire des moyens de production indique un changement de domination... pas l'abolition de la domination.

D'après une autre affiche de 68...

Pour exposer cette représentation des rapports entre Etat et société au sein de la doctrine communiste, nous sommes repartis d'un texte de celui qui fut, avec Marx, le co-auteur du "Manifeste du Parti Communiste" : Engels (le texte se trouveici).

 

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