Métamathématique (09.11.2009)

 Bonsoir,

Nous avions conclu notre passage par les géométries non euclidiennes par l'affirmation selon laquelle les axiomes de la géométrie, qui ne pouvaient par définition pas être démontrés, ne pouvaient pas davantage être saisis par "l'évidence", comme le voulait Pascal. Ce que montrent les géométries non euclidiennes, c'est qu'un  énoncé aussi (apparemment) évident que le 5e axiome d'Euclide n'est en réalité ni vrai, ni faux. Il n'est pas "faux", puisqu'en le posant on peut construire un système géométrique parfaitement valable et dont, à cette étape de notre raisonnement, on peut supposer qu'il n'aboutit pas à des contradictions. Mais il n'est pas "vrai" non plus, car on peut très bien le refuser en lui opposant un autre axiome qui le contredit, et aboutir à d'autres systèmes géométriques tout aussi valables et cohérents. La géométrie euclidienne est plus "commode" (c'est le terme de Poincaré) pour représenter géométriquement les phénomènes du monde habituel, mais les géométries non euclidiennes sont parfois plus "commodes" pour représenter de façon géométrique certains phénomènes microscopiques. Mais de toutes façons, le critère de validité d'un système mathématique n'est pas sa conformité au monde sensible...

Les axiomes ne sont ni démontrables, ni évidents : ils ne sont donc ni vrais ni faux : ils doivent être considérés comme des "règles du jeu des mathématiques" ;  et une règle du jeu n'est ni vraie ni fausse.  On aurait pu choisir d'autres règles...

[Remarque : même des principes comme les principes de non-contradiction (une chose ne peut pas être a et non-a) ou du tiers exclu (une chose est soit a, soit non-a) peuvent être refusés ; c'est notamment le cas dans la logique de Łukasiewicz, dite "non aristotélicienne".]

 Bien. Cela implique-t-il que le choix des axiomes relève de l'arbitraire pur et simple ? Qu'on pourrait choisir n'importe quels axiomes ? Non. Car toute axiomatique doit s'efforcer de remplir deux exigences :

     a) elle doit être consistante : ce qui signifie que, ni entre les axiomes, ni entre les théorèmes que l'on peut en déduire, on ne doit se heurter à des contradictions (un axiome ou un théorème ne peut pas dire le contraire de ce que dit un autre axiome / théorème). Par exemple, si vous arrivez à la conclusion que le théorème de Pyhtagore est vrai, mais que par ailleurs il est faux, c'est qu'il y a un problème quelque part.

     b) elle doit être complète : ce qui signifie que tout énoncé correctement formulé dans le système ( =  doté d'un sens) doit pouvoir être démontré (comme vrai ou faux).  Par exemple, vous ne devez pas pouvoir dire d'un énoncé comme "tout triangle rectangle est inscrit dans un cercle" qu'il n'est ni vrai, ni faux.... c'est l'un OU  l'autre, et on doit pouvoir le démontrer !

C'est précisément le souci de constituer une axiomatique parfaite, pour la géométrie et l'arithmétique, qui a animé de grands matémathiciens des XIX° et XX° siècles, préoccupés de "métamathématique" (on appelle métamathématique le domaine de la logique mathématique qui s'occupe de la "théorie de la démonstration"). C'est le cas notamment de David Hilbert (qui travailla sur l'axiomatisation de la géométrie) et de de Giuseppe Peano (qui travailla sur l'axiomatisation de l'arithmétique).

Mais le rêve d'une axiomatique parfaite (consistante et complète) s'est brusquement achevé avec la publication, en 1931, de deux théorèmes du logicien austro-hongrois Kurt Gödel, devenus célèbres sous le nom de "théorèmes d'incomplétude".

     a) le premier théorème affirme que, dans tout système entièrement formalisé (maths, logique), il subsistera toujours au moins un énoncé indémontrable (et dont la négation n'est pas non plus démontrable).  En d'autres termes, aucune axiomatique ne pourra jamais être complète.

     b) le second théorème affirme que, parmi ces énoncés indémontrables, se trouve précisément celui qui affirme la consistance du système ! En d'autres termes, on ne peut jamais démontrer qu'un ensemble d'axiomes n'aboutit jamais à une contradiction. La consistance d'un système formalisé ne peut être démontrée.

Aucune axiomatique ne pourra jamais être parfaite : toute axiomatique reste à la fois incomplète et indémontrable dans sa consistance....

Bien évidemment, ça n'empêche pas de faire des mathématiques ; comme le remarquera un philosophe-logicien du XX° siècle, Ludwig Wittgenstein (parvenu à des conclusions assez proches par une autre voie, plus spécifiquement philosophique), le jour où un mathématicien  s'aperçoit que le système d'axiomes qu'il utilise génère une contradiction, il ne se met pas à faire de la peinture : il ajoute simplement un nouvel axiome, de même que le joueur qui s'apercevrait qu'une configuration de jeu place deux règles du jeu en contradiction... ajouterait tout simplement une nouvelle règle.

En revanche, cela ruine bel et bien l'idée du langage mathématique et de la démonstration mathématique comme modèle "divin" de la connaissance, comme modèle de perfection que toute autre science devrait tenter d'imiter. Certes, le savoir mathématique est bien un "idéal" de connaissance "absolue" dans la mesure où :

     a) les raisonnements mathématiques sont purement rationnels (ils se passent de toute "expérience")

     b) les démonstrations mathématiques sont définitives

     c) elles sont universelles (elles ne peuvent rencontrer aucune exception)

 Mais la vérité mathématique reste "relative" dans la mesure où :

     a) un énoncé mathématique n'est pas vrai ou faux "en lui-même", il ne l'est que relativement à une axiomatique.

     b) une axiomatique n'est ni vraie ni fausse, elle est choisie.

     c) une axiomatique n'est jamais parfaite : elle laisse toujours subsister des énoncés indémontrables, et sa consistance ne peut pas être démontrée.  

De quoi remettre en cause l'affirmation de Galilée...

 

 A demain...

 

 

 

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