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(2)Déterminisme esprit-matière

 

II) Liberté et déterminisme : l'homme est-il un être libre ?

     A) Approche théorique : l'homme est-il déterminé ?

      1) La notion de déterminisme

Cette partie du cours est consacrée à la question de savoir si la liberté, telle que nous l'avons définie, peut être attribuée à l'être humain. Nous verrons qu'il est en réalité extrêmement difficile de soutenir par une argumentation rationnelle l'existence de la liberté chez l'homme ; en revanche, il est assez facile de la nier. Cette négation caractérise un ensemble de doctrines que l'on appelle "déterministes", en ce qu'elles affirment que les actes de l'homme sont déterminés par des forces, des mécanismes, des processus qui échappent au contrôle de la raison et de la conscience. On peut ainsi distinguer deux types de "déterminisme" :

     a) celui qui affirme que, chez l'homme, ce ne sont pas la raison et la conscience qui déterminent le comportement, mais d'autres forces

     b) celui qui affirme que, certes, la raison et la conscience dirigent les actes, mais eles-mêmes sont soumises à des forces qui échappent entièrement à leur contrôle.

Il nous faudra également prendre garde à la distinction entre un déterminisme absolu (qui affirme que la liberté n'existe pas, qu'elle est une pure et simple illusion), et un déterminisme relatif, qui affirme que la liberté de l'homme est restreinte par le jeu de forces qui échappent à son contrôle. Nous avons commencé par un déterminislme de type "absolu", le déterminisme matérialiste

 

 

          2) Le déterminisme matérialiste

Le raisonnement sur lequel repose le déterminisme matérialiste est très simple, par ce qu'il déduit l'absence de liberté de trois hypothèses de départ qui semblent pouvoir être considérées comme des "évidences" scientifiques, relatives au rapport entre matière et esprit. Nous avons proposé comme définitions de ces deux termes [définitions à retenir] :

Matière : appartient au domaine de la matière l'ensemble des choses qui peuvent être saisies par les sens, qui peuvent faire l'objet d'une connaissance sensorielle. En termes philosophiques, on dira que la matière est ce qui peut faire l'objet de l'expérience. Pour un physicien, les phénomènes optiques, accoustiques, caloriques, etc. sont autant de phénomènes matériels, disponibles pour l'investigation scientifique.

Esprit :  appartient au domaine spirituel l'ensemble des choses qui peuvent être saisies par la conscience : une idée, un concept, une relation logique, un raisonnement, un rêve, un fantasme, etc.  On ne peut ni voir, ni toucher, ni sentir une idée : on ne peut que la saisir par la pensée. Deux remarques :

     a) la première concerne la conscience elle-même. Si les choses de l'esprit sont celles qui peuvent être saisies par la conscience, que dire de la conscience elle-même ? Nous répondrons ici (mais nous y reviendrons) que la conscience peut elle-même être intégrée au domaine spirituel, du moins chez l'homme, car l'homme est un être doté de la conscience de soi, par laquelle la conscience se saisit elle-même. Être conscient de soi, c'est d'abord être conscient d'être conscient.

      b) la seconde concerne les hallucinations. Lorsque mon esprit me présente l'image d'un fantôme, il me semble que je le vois. Doit-on alors faire entrer le fantôme dans le domaine des choses matérielles ? Non, justement. L'hallucination, c'est ce qui résulte d'une confusion entre matière et esprit. Je crois saisir par les sens, ce qui n'est en fait qu'un produit de mon esprit.

 

La représentation photographique et cinématographique des fantômes est intéressante : comment "faire voir" ce qui, justement, en tant que phénomène immatériel, ne peut être saisi par les sens ?

Quelles sont donc les trois hypothèses sur lesquelles repose le déterminisme matérialiste ?

     a) hypothèse 1 : l'esprit ne peut pas agir sur la matière

Il n'y a pas d'action de la pensée sur les phénomènes matériels. C'est une hypothèse (de) scientifique : ceux qui croient que l'on peut faire bouger une petite cuillère, ou un réseau de neurones, en y pensant, sont des charlatans et/ou des déficients de l'intellect.

 

Une séance de télékinésie dans Matrix. Mais cet exemple est très mal choisi, puisque, précisément, dans Matrix nous ne sommes que dans le domaine de l'esprit : le monde que voit ici Néo (nous sommes dans la matrice) n'est que le produit d'une hallucination.

     b) hypothèse 2 : chez l'homme, la matière et l'esprit sont strictement solidaires.

La matière de l'homme, c'est son corps, et notamment  cet organe très éminent qu'est son cerveau. Lorsque l'homme pense quelque chose, il se produit quelque chose dans son cerveau, et inversement. Les phénomènes mentaux (idée, rêve, etc.) et les phénomènes cérébraux (connexions synaptiques, etc.) se correspondent, ils sont strictement dépendants. On peut prendre, à titre d'illustration, la définition de la "mort cérébrale" (la mort, c'est ce qui sépare le corps vivant, doté d'une âme, du corps mort, du cadavre, dont l'âme s'est échappée) : l'individu est considéré comme mort lorsque l'on observe trois minutes d'électroencéphalogrammes plats. S'il ne se passe plus rien dans le cerveau, c'est qu'il n'y a plus d'esprit.

     c) hypothèse 3 : les phénomènes matériels sont entièrement déterminés par des relations causales.

C'est tout simplement l'hypothèse de base de toute approche scientifique des phénomènes, du moins dans le domaine macroscopique. Il n'y a pas de hasard dans les phénomènes matériels, pas d'effet sans cause. Si un phénomène matériel se produit (une balle de golfe prend son envol, un neurone bouge), c'est qu'il a été causé par un autre phénomène matériel (choc de la canne de golfe, stimulus électrique, etc.) On peut donc dire que le monde matériel est "détrminé", dans la mesure où, si je connais la position et la vitesse exacte de toutes les particules d'un système, je peux prédire l'avenir (et retrouver le passé) de ce système : c'est ce qui permet à tous les élèves de terminale de "prédire" la trajectoire d'une balle de golfe ou d'un ballon de basket quand ils sont soumis à une force de vecteur V.

 

Bien. On voit que ces trois hypothèses semblent être de simples évidences, qu'il faut bien admettre si l'on veut penser le réel. Or il découle directement de ces trois hypothèses que la liberté est une illusion pure et simple. En effet,

     _ si ce qu'il se passe dans la pensée (dans la raison, la conscience) est strictement solidaire de ce qu'il se passe dans le corps, et plus particulièrement dans le cerveau.

     _ si la pensée ne peut pas agir sur le cerveau (la pensée ne peut pas plus faire bouger un neurone qu'une petite cuillère)

     _ si ce qu'il se passe dans le ceveau est totalement déterminé par des lois causales (un choc électrique cause une décharge synaptique, etc.)

alors il va de soi que ce que pense la pensée est entièrement déterminé par les lois qui régissent les phénomènes matériels. Mes contenus de pensée correspondent à ce qu'il se produit dans mon cerveau : or ce qu'il se passe dans mon cerveau, ce n'est pas ma pensée qui le décide, ce sont des processus matériels qui s'enchaînent mécaniquement. S'il me vient telle idée, c'est que certaines connexions synaptiques se sont produites dans mon cerveau ; or si ces connexions synaptiques ont eu lieu,  ce n'est pas parce que ma pensée a agi sur mes synapses (l'esprit ne peut pas agir sur la matièreà) c'est parce que d'autres phéomènes matériels ont eu lieu (stimuli électriques, etc.) Et si ces stimuli ont eu lieu, c'est parce que d'autres phénomènes... etc. Les phénomènes cérébraux sont tout aussi déterminés que les trajectoires des balles de golfe : ils sont régis par des lois causales que la science doit mettre en lumière.

 

On trouve un point d'aboutissement de ce raisonnement dans une fiction bien connue : celle du "démon de Laplace", du nom d'un scientifique français de la fin du XVIII° siècle. Si tous les phénomènes s'enchaînent mécaniquement selon des lois causales que la science doit découvrir, alors on peut admettre qu'un être qui connaîtrait, à un instant t, la position et la vitesse exacte de toutes les particules de l'univers, et qui par ailleurs connaîtrait toutes les lois de la physique, pourrait prédire tout l'avenir du monde et retrouver tout son passé. Un tel être (le "démon de Laplace")pourrait faire avec l'Univers ce que les élèves de Terminale font avec les balles de golfe : utiliser les lois de la physique pour retrouver l'enchaînement nécessaire des phénomènes.

« Une intelligence qui, à un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la compose embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l'univers et ceux du plus léger atome ; rien ne serait incertain pour elle, et l'avenir, comme le passé, serait présent à ses yeux. » (Pierre Simon de Laplace, Essai philosphique sur les probabilités)

Dans cette optique, il est évident que la liberté devient une illusion pure et simple, puisque tout ce que l'homme a fait, fait et fera, tout ce qu'il a pensé, pense et pensera est entièrement déterminé par les lois qui régissent les phénomènes matériels. Tout est déterminé : et lorsque l'homme croit agir conformément à ses propres décisions, il ne fait que suivre l'ordre inexorable de la causalité physique. En ce sens, l'homme qui croit déterminer ses actes ressemble à un saphir de tourne-disque qui croirait composer la symphonie qu'il est en train de faire retentir. Ce "tout est déterminé" est l'équivalent scientifique du "tout est écrit" religieux. Le problème, c'est que pour être contraint de l'admettre, il n'est pas nécessaire de reconnaître la vérité des Ecritures : il suffit d'admettre trois hypothèses qui ressemblent bien à de simples évidences !

Plus encore, pour sauver la liberté, il semble qu'il n'y ait qu'une seule possibilité : admettre que l'esprit peut agir sur la matière. En effet,

     a) si nous remettons en cause l'hypothèse 3, nous cassons le déterminisme, mais nous ne sauvons pas la liberté ; nous réintroduisons le hasdard dans les phénomènes matériels, mais nous ne sauvons pas la liberté. Pour sauver la liberté, il ne suffit pas que les phénomènes matériels soient (en partie) aléatoires, il faut qu'ils soient déterminés par la pensée. Si mes neurones font "n'importe quoi", je n'en suis pas plus libre pour autant.

      b) si nous remettons en cause l'hypothèse 2, alors on peut admettre que la pensée peut penser indépendamment des connexions neuronales, mais alors on ne comprend pas du tout comment la pensée peut ordonner quoi que ce soit au corps. Si l'esprit et le cerveau-corps ne sont plus liés, comment l'esprit peut-il déterminer mes actes corporels ?

En revanche, si on refuse l'hypothèse 1, alors je peux admettre que, certes, lorsque je lève le bras, c'est bien parce qu'un signal a été envoyé à partir de ce centre de contrôle qu'est le cerveau : mais ce signal lui-même a été déclenché... par la pensée. Alors, effectivement, je peux être considéré comme libre : ma pensée détermine mon corps, le point de jonction entre les deux étant le cerveau.

En d'autres termes, la croyance en la liberté a autant de consistance scientifique que.... ça :

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