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Textes supports pour DM 3 (2)

La suite du texte présente quelques arguments visant à remettre en cause le bien-fondé du relativisme moral.

6. L'auteur commence ensuite une remise en cause du relativisme moral. Il commence par rappeler les travaux qui ont montré que la pluralité des morales n'impliquait pas nécessairement une incompatibilité de ces morales. La pluralité des morales peut ainsi s'expliquer par la mise en oeuvre d'un même système de valeurs morales fondamentales, mais appliquées dans des contextes très différents. Il pourrait donc y avoir un accord sur des valeurs morales universelles, même si dans chaque contexte les normes morales adoptées sont différentes.On pourrait donc peut-être retrouver une morale universelle derrière la pluralité apparente des pratiques morales.

Le passage-cé est le suivant : après avoir donné deux exemples de "remise en cause" tirés de la littérature ethnographique, l'auteur écrit :

Quand les survivants d’une catastrophe aérienne en viennent à s’entre-dévorer plutôt que de mourir de faim, nous ne leur attribuons pas une morale autre. Ou bien nous reconnaissons que, dans les mêmes circonstances, nous en aurions peut-être fait autant, ou bien nous nous estimons supérieurs, non par nos normes, mais par la capacité que nous nous prêtons complaisamment de nous y conformer plus rigoureusement que ces malheureux. Lorsque des pratiques contraires à nos idées morales émanent de membres d’autres sociétés, en revanche, nous avons vite fait – trop vite fait – d’en rendre compte en leur attribuant des idées morales opposées aux nôtres (Sperber, 1993, p. 325). Ce que veut dire ici Sperber, c’est qu’un comportement apparemment aberrant sur le plan moral n’implique pas nécessairement l’adhésion à des règles morales radicalement différentes ou le refus de toute morale : les Ikks pourraient parfaitement suivre des règles similaires à ce qui est répandu dans les autres cultures (soin aux enfants, partage, équité, etc.) mais se trouver dans une situation dans laquelle leurs croyances morales subiraient de fortes distorsions liées au caractère exceptionnel des circonstances.

Autrement dit, le fait que différentes cultures ne soient pas d’accord en pratique sur certaines valeurs morales ne signifie pas qu’il y ait désaccord, en théorie, au sujet des croyances morales.

7. L'auteur poursuit en suggérant un argument (à confirmer) concernant la remise en cause du relativisme moral. Il souligne que les  travaux contemporains indiquent que les normes morales sont acquises beaucoup plus tôt chez les enfants que les autres normes ; dès le plus jeune âge, des enfants activent des distinctions entre Bien et mal. Or plus cette différenciation apparaît tôt, et plus il est difficile de dire qu'elle est déterminée par l'environnement socio-culturel. Que la représentation que sefait un adulte de la démocratie soit largement influencée par son environnement soico-culturel, c'est difficile à récuser. Mais si un enfant en bas âge est déjà capable de différencier des actions morales d'actons immorales, il devient plus difficile de dire que cette distinction a été déterminée par l'environnement culturel.

Le passage-clé est le suivant :

Les normes morales, selon Turiel, ne sont pas acquises selon les mêmes modalités que les normes conventionnelles, et la distinction entre ces deux domaines est maîtrisée relativement tôt chez les enfants, le plus souvent dès l’âge de trois ans. La distinction entre moral et conventionnel s’avère donc nettement plus précoce que ce qu’affirmaient Piaget et Kolhberg (représentants d’une psychologie rationaliste d’inspiration kantienne), puisqu’elle s’effectue bien avant que les capacités cognitives des enfants ne soient arrivées à maturation. Si cette distinction est bien présente dans différentes cultures, comme l’affirme Turiel (hypothèse qu’il faudrait sans doute corroborer par de nombreuses études interculturelles), il s’agirait alors bien évidemment d’une réfutation importante du relativisme moral empirique.

8. L'auteur propose un autre argument en défaveur du relativisme moral, issu de ce que l'on appelle la "naturalisation" de l'éthique. "Naturaliser" l'éthique, c'est la faire sortir des considérations métaphysiques (la liberté de l'âme, Dieu, etc.) pour la ramener à des considérations portant sur des phénomènes observables et explicables scientifiquement. Ainsi, si la morale est liée à des considérations, par exemple, biologiques, on peut remettre en cause le relativisme, puisque les organismes de tous les humaibns ont des caractéristiques fondamentales identiques. L'auteur donne plusieurs exemples, mais je vous en propose un autre. Supposons que l'on admette à titre d'hypothèse que les valeurs morales soient dictées, non par un "instinct divin" comme le dira Rousseau, non par Dieu, mais par.... un instinct de conservation de l'espèce, instinct génétiquement programmé. Dans ce cas, puisque tous les êtres humains ont en commun cet instinct de conservation de l'espèce (dans leur patrimoine génétique), il serait possible de mettre en lumière des "invariants" dans les différentes morales : toutes les morales chercheraient en fait à édicter un système de règles favorisant la conservation de l'espèce.

L'exemple que je vous propose concerne le viol : des scientifiques ont cherché à mettre en lumière la manière dont cette interdiction morale pouvait être mise en relation avec un impératif biologique de consevation de l'espèce. L'idée de fnd étant que, si nous interdisons moralement le viol, c'est d'abord parce que nous y sommes incités par un impératif biologique (de conservation de l'espèce). Dans cette optique, au-delà de la diversité des morales, il y aurait un accord fondamental sur le but recherché par toutes les morales : la conservation de l'espèce.

Voici le texte en question, qui est tiré d'un recueil de texte édité sous la direction de l'un des auteirs cités dans le texte que nous analysons, et qui n'est pas un farfelu puisqu'il est membre de l'Institution intellectuelle la plus prestigieuse de France : le Collège de France.Dans le texte, "l'adéquation adaptative" désigne la capacité de l'individu à se conformer à son environnement (d'adopter un comportement adapté à l'environnement) afin de réussir à transmettre son patrimoine génétique. L'idée globale est que le viol est une très mauvaise chose pour la bonne reproduction de l'espèce humaine.

« La réponse générale est probablement que le viol était désavantageux pour nos ancêtres de sexe féminin ; ce qui, en termes évolutionnistes, signifie que le viol réduisait l’adéquation adaptative globale ou le potentiel de propagation génétique des femmes au cours de l’histoire évolutive.

Dans l’histoire évolutive humaine, le viol a pu produire une réduction de l’adéquation adaptative des femmes des quatre manières suivantes. (a) Le viol peut conduire à des blessures pour la victime. (b) Le viol peut réduire la capacité de la femme à choisir le moment et les circonstances de la reproduction, ainsi que l’homme qui sera le père de ses enfants. Quand le viol entraîne la conception et la gestation d’un embryon, les femmes risquent de gaspiller leurs énergies reproductrices limitées dans de mauvaises circonstances (pour le succès de la reproduction) et avec le mauvais partenaire mâle. (c) Le viol circonvient la capacité de la femme à employer le rapport sexuel comme un moyen de s’assurer des avantages matériels de la part des hommes, pour elle-même ou pour ses apparentés. […] Le viol d’une femme déjà liée à un conjoint peut avoir des effets défavorables sur la protection que lui offre son conjoint, ou sur la quantité et la qualité des soins paternels que reçoivent ses enfants. Les hommes font partie des mammifères mâles qui font preuve du plus grand investissement parental, et les soins parentaux prodigués par les deux sexes ont été décisifs pour l’adéquation adaptative de chaque sexe au cours de l’histoire évolutive humaine. Il y a dans les soins paternels, chez l’homme, une discrimination en termes de chevauchement génétique entre l’homme et sa progéniture : les hommes s’occupent davantage de leurs enfants génétiques. Or le viol, réel ou suspecté, rend la paternité incertaine. Dans l’histoire évolutive humaine, cela peut avoir eu des effets négatifs sur le comportement d’un homme vis-à-vis d’une femme et des enfants qu’elle a mis au monde, diminuant par conséquent la reproduction potentielle d’une femme victime de viol.

Nous pensons donc que, du point de vue de la femme, on comprend mieux la critique du viol si l’on prend en considération ses effets négatifs sur l’adéquation adaptative de la femme en ce qui concerne sa reproduction future. »

(Nancy Wilmsen Thornhill, « Nature du traumatisme psychologique consécutif au viol, et quelques implications éthiques » in « Les Fondements naturels de l’éthique », ouvrage dirigé par Jean-Pierre Changeux.)

9. Une autre façon de "naturaliser" la morale est de la mettre en corrélation, non avec un instinct de conservation génétiquement programmé, mais avec des processus cérébraux. En effet, si les normes morales sont liées à des processus internes au cerveau (ô cher déterminisme matérialiste...), il est possible de dire que les normes morales de toutes les civilisations sont dictées par des structures internes au cerveau qui sont les mêmes chez tous les êtres humains.

Le passage-clé est le suivant :

Dans une perspective proche du naturalisme évolutionniste, de nombreux travaux dans le domaine des neurosciences tendent à remettre en cause l’idée selon laquelle le sens moral se construirait uniquement par le biais d’interactions socioculturelles, à l’encontre – une fois de plus – du relativisme moral. Le cerveau humain, en effet, n’est nullement une « table rase », contrairement à ce qu’affirment les tenants de l’empirisme et du behaviorisme, mais il existe bien un certain nombre de structures cérébrales, présentes universellement, qui conditionnent l’émergence et le développement du sens moral. [...] Certes, il n’existe pas de centre cérébral de la moralité, comme le prétendait la phrénologie à une certaine époque [ça doit vous rappeler des souvenirs...], mais il existe bel et bien des mécanismes cérébraux universels sous-tendant l’émergence des phénomènes moraux, de la même manière qu’il pourrait exister des mécanismes universels d’acquisition du langage, enrichis et transformés par les langues particulières.

L'avantage est que cette "naturalisation" de la morale, qui la relie à cette chose "naturelle" qu'est le cerveau, peut à la fois "sauver" l'idée de fondements universels de la morale (les structures fondamentales des cerveaux humains) et intégrer la diversité des morales. Car il y a plusieurs "couches" dans le développement du cerveau : à une couche strictement universelle, correspondant aux mécanismes cérébraux fondamentaux, se superposent des strates de développement qui, elles, sont influencées par l'environnement socio-culturel. Le cerveau humain ne se construit pas indépendamment du contexte : le renforcement des connexions synaptiques (liaisons entre neurones) a lieu à un stade durant lequel l'individu est déjà fortement influencé par des paramètres socio-culturels. On peut donc admettre une conclusion du même genre que celle à laquelle nous avait conduits notre précédente "naturalisation" : à des structures universelles de la morale, correspondant à des "tendances" quasi-innées, se superposent des contenus qui, eux, divergent d'une culture à l'autre

C'est ce que dit ce second passage-clé :

Une telle hypothèse, qui réhabilite le rôle de la culture dans la formation des sujets moraux, est aussi confirmée – ironie du sort ! – par le naturalisme lui-même, comme le montre le concept de « plasticité neuronale » utilisé par les neurosciences. Ainsi que l’explique Jean-Pierre Changeux dans L’homme neuronal, le renforcement des connexions synaptiques s’effectue en grande partie au cours de l’épigenèse et se trouve donc grandement influencée par le contexte environnemental. Autrement dit, nous ne sommes pas génétiquement programmés pour être des êtres moraux particuliers : c’est bien plutôt l’environnement, la culture, qui vont attribuer un contenu aux croyances morales (structurées au niveau cérébral par des réseaux neuronaux) en les faisant correspondre à des objets précis. C’est ainsi qu’en activant le système limbique et les émotions qui s’y rattachent, l’éducation morale est à même de créer un certain nombre d’habitudes liées en particulier au respect des normes.

La structure des morales est universelle (différenciation des actes en bien / mal, affirmation d'un devoir de choisir et d'accomplir le bien, intériorisation du jugement sous forme de conscience morale, etc.), leur contenu (les règles morales) est culturel.

10.La dernière partie du texte (qui vous paraîtra peut-être la plus difficile, mais qui est importante) se demande si le fait qu'il existe une dimension universelle de la morale, voire des règles morales universelles, suffirait à dire que ces règles universelles sont les "vraies" valeurs morales. On pourrait en effet être tenté de dire que les valeurs morales qui sont adoptées par tous les êtres humains, celles qui échappent au conflit des cultures, sont nécessairement les "bonnes" valeurs morales. 

Or cette idée est très délicate. En effet, si l'on regarde, par exemple, le cas le plus fameux d'interdiction "universelle", l'interdiction de l'inceste, les choses paraissent plus compliquées qu'elles n'y paraissent. Les anthropologues du XX° siècle, comme Claude lévi-Strauss, ont beaucoup insisté sur cet interdit, qui leur semblait être partagé par la totalité des communautés culturelles. Dans ce cadre, l'inceste désigne tout d'abord l'endogamie, c'est-à-dire le fait se marier entre membres d'une même famille, d'un même clan. On pourrait être tenté de se dire : puisque cet interdit est admis par toutes les cultures, puisqu'il semble être universel, puisque donc il échappe au domaine du relativisme empirique, il faut l'admettre au titre de principe moral absolu, vrai.

Et pourtant. Est-on réellement obligé d'admettre que tout rapport conjugal, sexuel ou amoureux entre membres d'une même famille est immoral ? laissons de côté les relations entre parents et enfants (entre adulteset enfants en général) qui posent des problèmes qui débordent largement le cadre de l'endogamie. Pourquoi devrait-on condamner un frère et une soeur, deux frères, deux soeurs, etc. qui entretiendraient des raports amoureux ? Où est le mal ? Pourquoi est-ce "mal"? Un grand écrivain du début du siècle, Robert Musil, a écrit un très grand (dans tous les sens du terme) intitulé "L'homme sans qualité", dont l'intrigue principale concerne la relation amoureuse d'un frère et de sa soeur. Les deux individus sont libres, adultes et consentants ; ils ne portent préjudice à personne. Pourquoi dans ce cas considérer leur relation incestueuse comme "moralement condamnable"?

On voit que l'universalité "de fait" d'un interdit (le fait qu'il soit admis par toutes les cultures) ne suffit pas nécessairement à considérer qu'il s'agit d'un interdit indiscutable... Le début du texte montrait que la diversité factuelle des morales n'excluait pas, théoriquement, la possibilité d'une morale universelle ; mais inversement, l'universalité factuelle des orales n'implique pas que cette morale soit absolument valable...

Le passage-clé du texte est le suivant :

Savoir si les individus ont ou non une morale universelle est un problème scientifique et empirique : pour répondre à cette question, il est nécessaire de mobiliser des données anthropologiques, psychologiques ou biologiques qui peuvent apporter des éléments de réponse. Mais toute autre est la question de savoir si une telle morale naturelle serait juste : il s’agit alors d’un problème de philosophie morale qui peut, certes, être éclairé par la science, mais qui ne s’y réduit nullement. Autrement dit, le fait d’endosser l’universalisme moral (l’idée selon laquelle il existe un certain nombre de dispositions, d’intuitions ou de tendances comportementales universelles) ne saurait conduire directement au réalisme moral (la thèse selon laquelle ces tendances sont intrinsèquement bonnes). Il se pourrait qu’il existe bel et bien un sens commun en matière de morale (ce sens commun pouvant subir de profondes variations en fonction des systèmes culturels), mais cela ne signifie pas que les éventuelles croyances exprimées par ce sens moral sont légitimes et susceptibles de valider nos choix normatifs.

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